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l’a destiné, il faut qu’il soit excité, stimulé, réveillé, pour ainsi dire, qu’il trouve en même temps, dans le même agent, le même stimulus, une nourriture propre qui commence le premier acte du développement. Cela posé, qu’arrive-t-il dans la fécondation artificielle ? La poussière séminale de la digitale pourprée, (pour suivre l’exemple que nous avons cité plus haut) formée naturellement pour stimuler & nourrir un germe de la même nature & couleur, se trouve destinée à stimuler & nourrir un germe de la digitale jaunâtre. Il le stimule & l’anime, parce qu’il est de même nature, à la forme & à la couleur près, qu’il doit développer un jour ; ce ne sont ici que des rapports accidentels qui ne peuvent influer sur l’existence proprement dite d’un individu de digitale ; par conséquent le germe sera d’abord animé, il commencera a vivre. En même temps que cette poussière a la propriété générale de stimuler un germe de digitale, il n’a que la propriété particulière de nourrir & de développer un germe de digitale pourprée. En nourrissant le germe de la digitale jaunâtre, il le nourrira donc dans le rapport d’une digitale pourprée, & le résultat de cette nourriture sera un développement qui tiendra plus ou moins des deux. On sait combien la nourriture influe sur les formes & les couleurs. Les belles expériences de la colorisation des os des animaux, en les nourrissant de garance & des tiges de plantes, en leur faisant pomper des teintures diverses, servent de preuves à l’explication que nous venons de donner. Il n’est pas étonnant que la tige, les feuilles, les fleurs, les semences, la durée même de la nouvelle plante hybride soient un mélange de qualité des deux espèces qui leur ont donné la naissance. Il peut arriver même, comme dans les expériences citées, que la plante hybride acquière plus de force, de vigueur & de vie, pour ainsi dire, que les plantes productrices, parce que le germe a été nourri, au moment de la fécondation artificielle, par un principe plus énergique que celui qu’il auroit eu naturellement.

Le règne animal nous offre des exemples bien frappans & bien propres à confirmer ce que nous venons d’annoncer ; les mulets produits par l’accouplement de deux individus d’espèces différentes, participent de la nature de l’un & de l’autre ; ainsi, le mulet proprement dit, a les longues oreilles & la queue nue de l’âne, & le corps du cheval ; le mulet volatil ou l’oiseau né d’une serine & d’un linot, a le chant & les plumes verdâtres du linot, & le corps du serin, &c. En général, on a toujours objecté que le corps du mulet tenoit plus de la femelle que du mâle, & que les extrémités, au contraire, tenoient plus du mâle que de la femelle. Cette dernière observation se trouve confirmée par les expériences de M. Koelreuter : la plante hybride ressembloit un peu plus à la mère ou à la plante qui avoit été aspergée de la poussière fécondante ; la fertilité étoit aussi plus constante du côté de la mère.

Ce point de physiologie végétale, expliqué dans le sens que nous avons donné, laisse encore beaucoup d’incertitude à éclaircir, sur-tout celle qui regarde la stérilité ou la fécon-