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& si on ne se hâte pas de cueillir avant la grande noirceur du fruit. Il vaut beaucoup mieux devancer cette époque, que de différer la cueillette.

À ce défaut déjà si essentiel, on en a ajouté un bien plus redoutable encore, parce qu’il est fondé sur un préjugé dont la conséquence est prise pour une économie. Quelques personnes séparent les olives tombées & ramassées sur terre, de celles qui sont cueillies ou gaulées sur les arbres ; mais presque par-tout on a la détestable coutume d’amonceler ces dernières depuis le premier jour de la récolte jusqu’à la fin ; c’est-à-dire, que chaque jour on ajoute un monceau, & on attend que son tour de presser soit venu. Des personnes prudentes donneroient le moins de hauteur & le plus de surface possible aux olives, afin qu’elles ne s’échauffassent pas ; mais point du tout, on a dans l’angle d’un cellier, d’une remise, &c, une partie environnée de murs de tous côtés, excepté l’ouverture nécessaire au passage ; ces murs d’enceinte ont environ de 4, 5 à 6 pieds de hauteur, & leur étendue est proportionnée à la quantité d’olives que l’on récolte habituellement. Voilà donc les olives saines ou meurtries dûment pressées & accumulées les unes sur les autres en pyramides, autant que l’enceinte en peut contenir ; & souvent elles restent dans cet état pendant 8, 15 jours, & même pendant trois semaines. Qu’arrive-t-il ? Leur propre poids commence à les presser ; les olives meurtries & saines s’affaissent, il coule par le bas de la masse une eau brune de couleur vineuse, dépouillée d’huile, & c’est l’eau de Végétation. La sortie de cette eau annonce donc déjà un genre d’altération dans les fruits ; la chaleur de chaque olive en particulier, & de la masse générale, excite la fermentation ; (voyez ce mot) elle devient forte & si forte, que si je n’avois pas vu & bien suivi ses effets, j’aurois peine à le croire. Je plaçai dans le monceau un thermomètre à spirale, & par conséquent très-sensible. Pendant les deux premiers jours la liqueur resta stationnaire dans le tube, peu à peu elle s’éleva ; enfin, au quinzième jour, quoique pendant tout ce temps on eût journellement ajouté au monceau, la chaleur étoit parvenue au 36e. degré du thermomètre de Réaumur, (voyez ce mot) tandis que dans les plus grandes cuves remplies de raisins, & dans les années où la fermentation avoit été la plus tumultueuse & la plus rapide, je n’avois jamais vu la chaleur de la cuvée monter à plus de 16 degrés du même thermomètre. Je ne revenois pas de ma surprise, & dans la crainte de quelque erreur ou accident arrivé au thermomètre, je plongeai dans le même monceau un second thermomètre, dont la marche étoit parfaitement semblable au premier. Le résultat fut le même, & toujours 36 degrés de chaleur. Il fallut envoyer les olives au moulin ; à mesure qu’on les retiroit, il s’élevoit une odeur vineuse, piquante, que j’attribuai au dégagement de l’air fixe. Je fis approcher une lumière, elle ne s’éteignit pas comme si on l’eût présentée sur une cuve en fermentation, mais elle étoit fortement altérée ; la flamme, c’est-à-dire, la partie bleue de cette flamme, ne tenoit plus qu’au bout de la