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plus chargées de miellat. Cette substance sucrée sort des pores de l’arbre sous forme de gouttelettes rondes, mais elles sont brisées par le piétinement réitéré des insectes incorporées avec la poussière du bois, peut-être même déteignent-elles l’écorce ; enfin, par leur dessiccation, elles noircissent : cette couleur noire se manifeste sur tous les sentiers parcourus par les fourmis, parce que leurs petites pattes poissées y ont déposé cette substance sucrée ; peut-être encore cette couleur est-elle due à leurs excrémens. On accuse les fourmis de tout le mal ; c’est elles qui en sont la cause, & cependant il n’en est rien. Prenez tous les moyens capables de les empêcher de monter sur cet arbre, le mal n’en existera pas moins. Elles ont profité seulement de l’accident survenu à l’arbre, & voilà tout.

La même chose arrive aux fruits. Si une poire, un abricot, &c. sont entamés par un limaçon, par une guêpe, &c. ; s’il est trop mûr ; si lorsqu’il approche de sa maturité, il survient une pluie abondante, la peau se gerce, le fruit éclate, alors les fourmis profitent du mal déjà fait, & l’augmentent considérablement ; mais elle n’en sont pas la cause première.

Les fourmis font naître les pucerons. Ce paradoxe doit sa naissance à l’ignorance ou au défaut d’observation. La nature est trop sage pour s’écarter des loix admirables que son auteur lui a imposées. Les pucerons qui cloquent (voyez le mot Cloque) les feuilles de pêcher, &c. les gales-insectes, vulgairement nommées punaises, qui noircissent les bourgeons & les feuilles des orangers, par la multitude de leurs excrémens, sont armés d’un petit aiguillon avec lequel ils percent la peau encore tendre des bourgeons, (on n’en trouve point sur le vieux bois) en font extravaser la sève, & cette sève, en se séchant, forme le miellat qui attire les fourmis. Supprimez les pucerons & les gales-insectes, & l’arbre n’aura plus de fourmis. Vous en trouverez, tout au plus, quelques-unes sur un arbre sain, & ce seront celles qui vont à la découverte, & qui doivent avertir les autres de ce qu’elles auront trouvé.

Le défaut de connoissance sur ces objets, a fait imaginer mille moyens pour se débarrasser des fourmis, tandis qu’on manque le véritable but. Faites cesser le principe du mal, les fourmis laisseront vos arbres tranquilles, & vous ne leur imputerez pas des dégâts dont elles font innocentes.

Il n’est pas aisé de détruire ces insectes, & les moyens proposés jusqu’à ce jour sont insuffisans. Le premier, & qui a paru le plus simple, est l’eau bouillante versée dans le trou de la fourmilière. On suppose que l’eau pénétrera jusqu’au magasin général, & au dépôt des œufs ; mais cela n’arrive pas toujours, car les galeries, au lieu d’être perpendiculaires, sont souvent horizontales ; elles montent & descendent. L’insecte sait que les seules eaux de pluies viendroient pourrir ou noyer ce qu’elles ont de plus précieux ; aussi ses précautions à cet égard sont admirables. Peut-être même peuvent-elles boucher à volonté les issues des galeries dans le dépôt commun.