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printemps, la fourmi, ainsi que le lézard, le serpent, & presque généralement tous les insectes, reste engourdie, sans force, sans mouvement ; il lui est donc impossible de manger dans cet état de suspension des fonctions vitales ; son magasin d’hiver est donc une chimère. Les fourmis vivent en commun, & elles déposent dans le même lieu tout ce qu’elles transportent ; ces amas servent à leur nourriture journalière, & sur-tout à celle de leurs petits. Si les provisions sont peu considérables, la ration des fourmis est diminuée, afin de conserver en entier celle des nouveaux-nés.

Communément le lieu où elles se tiennent réunies est à douze, quinze, ou dix-huit pouces sous terre, environné de galeries, qui correspondent ordinairement à cinq, sept ou neuf ouvertures à la surface de la terre, quelquefois plus, & rarement en un moindre nombre.

Il n’est pas douteux qu’elles n’aient entr’elles quelques signes certains pour se communiquer les découvertes qu’elles font ; dès qu’une fourmi sait une capture à faire, elle retourne vers la file générale, & aussitôt une grande partie la suit. Les allées & les venues de ces insectes sont si multipliées, & elles sont en si grand nombre, qu’elles détruisent l’herbe sur leur passage ; ce qu’on doit attribuer à la liqueur acide qu’elles répandent.

Lorsque les fourmis se sont égarées, elles ont, pour retrouver leur route, le même moyen que le chien, c’est-à-dire, l’odorat. On les voit en effet, comme lui, flairer çà & là, & reprendre leur chemin dès qu’elles l’ont retrouvé. Sans cette ressource, comment cet insecte, presque toujours recouvert par l’herbe, & pour lequel une pierre est une montagne, pourroit-il se reconnoître ? C’est encore cet organe qui le guide pour aller en maraude, & qui conduit ses compagnes sur ses traces.

Il est constant que si les fourmis se jettent sur un monceau de grain quelconque, elles en emportent beaucoup ; d’ailleurs elles communiquent aux grains qu’elles ont piétinés, une odeur désagréable & difficile à dissiper. Si elles pénètrent dans des offices, dans des placards, dans des magasins d’épicerie, le dégât est réel.

Nos jardiniers les redoutent, parce que, disent-ils, elles font périr les arbres, dévorent les fruits, engendrent les pucerons. Ces inculpations sont fausses ; des exemples vont le prouver.

Supposons qu’un cerisier soit en fleur, ou que le fruit vienne de nouer, & qu’à cette époque il survienne une petite gelée, voilà tout-à-coup la transpiration de l’arbre arrêtée. La matière transpirante s’épaissit, se change en miellat, (voyez ce mot) bouche les pores, l’arbre languit ou périt. Ce miellat est un vrai sucre, aussi il n’en faut pas davantage pour que les fourmis, qui sans cesse sont à la découverte, & cherchent par-tout, se hâtent d’avertir les autres de l’abondante récolte qui les attend ; des légions entières se répandent aussitôt sur toutes les branches & les feuilles de l’arbre, sur-tout sur les bourgeons ou branches encore tendres, parce qu’elles sont