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lira dans Pline, Columelle, &c. qu’un même arbre est susceptible par le secours de la greffe, de produire des noix, des pèches, des raisins, des pommes, des abricots, des poires, &c. On vous dira que traverser le tronc d’un noyer avec une tarrière, & faire passer par ce trou un sarment de vigne, le raisin qui en proviendra dans la suite, donnera de l’huile & non pas du vin, &c. ; il seroit trop long & sur-tout trop fastidieux de rapporter ici l’énumération des puérilités en ce genre ; malgré cela on voit réussir des greffes singulières, & qui paroissent disproportionnées ; par exemple, celle du rosier sur le houx, celle du chianotho, arbrisseau d’Amérique, sur notre frêne ordinaire, qui ne lui ressemble en rien.

À quoi tient donc ce mécanisme étonnant ? convenons de bonne-foi que nous raisonnons beaucoup, que nous voulons tout expliquer, & que nous ne savons rien, ou du moins très-peu de chose, puisque la plus petite expérience met en défaut nos systèmes les plus spécieux, & qui paroissent établis sur des bases solides.

Il sembleroit que les arbres dont la texture intérieure paroît analogue, & qui commencent à végéter, à fleurir, & à donner des fruits mûrs en même-temps, devroient conserver entr’eux une affinité pour la greffe ; l’expérience prouve le contraire.

La nature a divisé les arbres & les plantes par familles, ou peut-être cette division tient plus à nos méthodes qu’à la nature ; par exemple, le châtaignier & le noyer sont des arbres à fleurs à chatons ; le chêne l’est également. Voilà donc une analogie bien frappante ; cependant à force de soins, de peines, on est parvenu à greffer les uns sur les autres ; mais à la seconde ou à la troisième année la greffe périt.

Le platane & plusieurs autres arbres, offrent un nouveau genre de contradiction. Si on le greffe sur lui-même, la greffe périt ; cependant on avoit avancé qu’il étoit susceptible de produire des figues, des cerises, &c.

D’après quelles loix physiques peut-on donc établir les loix de l’analogie ? sur aucune. Tant qu’on généralisera les assertions, l’erreur en sera la suite. Le tâtonnement (car nous marchons en aveugles) & l’expérience, doivent être nos seuls guides ; le reste est charlatanisme pur ; tout nier est absurde ; tout admettre est sottise ; il vaut beaucoup mieux suspendre son jugement, répéter une expérience qui paroît folle, la faire avec soin, & l’on sait ensuite à quoi s’en tenir. De tels préceptes découragent les paresseux qui aiment le travail tout fait ; mais ils sont de puissans moteurs pour ceux qui aiment à étudier la nature ; & une seule expérience couronnée par le succès, les dédommage largement de mille autres qui ont été inutiles. L’avancement de la science & l’utilité publique, exigent que le nombre de ces derniers se multiplie.

La seconde analogie des sèves entre la greffe & le sujet, est également importante à connoître & à étudier. Le grand principe d’après lequel on doit partir, est que la végétation de chaque arbre, de chaque plante, tient à un degré