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sortir ; car si le trou étoit trop grand, ce suc même s’enflammeroit. La liqueur que l’on tire ainsi est le goudron. On remet encore cette liqueur sur le feu, pour la faire bouillir doucement & faire évaporer l’humidité qui y reste. Ce suc, en se refroidissant, s’épaissit ; c’est ce que l’on appelle de la poix.

Le grand mérite de toute espèce de composition dont on se sert pour goudronner les bouteilles, est, lorsqu’on les débouche, qu’il se sépare net du verre, sans y laisser la moindre poussière. Chacun a sa méthode de préparer le goudron : la plus généralement reçue consiste dans le mélange de deux livres de cire jaune, une livre de poix-résine, une livre de poix blanche, & une once de térébenthine qui donne du liant au mélange. On fait fondre le tout dans un chaudron de fer ou dans un vaisseau de terre vernissée, & à feu lent, en ayant l’attention de remuer le tout avec la spatule, afin de bien l’amalgamer. Quelques-uns ajoutent de la cendre de bois, passée par un tamis fin ; ce qui augmente le volume & lui donne du corps, sans nuire au liant de l’ensemble. D’autres le colorent en rouge par l’addition de l’ocre rouge, bien pulvérisée & tamisée ; en jaune, en se servant de l’ocre ordinaire. Enfin, quelques-uns font cuire le premier mélange au bain-marie, & la couleur de la composition n’est point altérée.

À quoi servent ces préparations, ces compositions ? En deux mots, à rien. J’excepte cependant les bouteilles remplies de vin mousseux, qu’on est obligé de ficeler ; elles empêchent la ficelle de pourrir, & préservent le fil de fer de la rouille.

La solution que je donne du problème paroîtra singulière, puisque cette coutume est établie dans tous les lieux depuis un temps immémorial. Le goudron annonce un vin précieux, prévient en faveur de celui qu’on présente ; & voilà, je crois, son origine & sa première institution.

Il ne conserve ni le bouchon, ni le spiritueux du vin, & il n’empêche pas la liqueur de se répandre, si la bouteille est couchée & mal bouchée.

Le liège est impénétrable à l’eau, lorsqu’il est fortement pressé, tel que l’est le bouchon mis à une bouteille. La preuve en est que du vin ne transsude pas à travers, malgré la continuité de fermentation qu’il éprouve dans le verre, (voyez le mot Fermentation) & qui tend toujours à pousser en dehors : on en a une preuve bien sensible dans les vins mousseux. Or, si le fluide intérieur, toujours agissant, ne transsude pas, à plus forte raison l’humidité extérieure ne sauroit pénétrer dans l’intérieur. Il s’agit ici du bon liège, & non de celui qui a été écorcé trop vieux sur l’arbre.

Il ne prévient point la perte du spiritueux du vin, puisque, si le spiritueux le traversoit, il dissoudroit la résine, & l’on voit cependant qu’après plusieurs années le goudron reste intact.

Il n’empêche pas la liqueur de se répandre : c’est un fait que chacun peut vérifier en bouchant mal & volontairement une bouteille. On verra l’air chercher à s’échapper à travers le goudron, le diviser, l’étendre au point de lui faire prendre la forme d’une petite vessie, & je crois même que le vin finit par le dissoudre. Ainsi, dans tout état de cause, le goudron