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provinces on a adopté les grands vaisseaux qui contiennent autant que huit à dix barriques de Bourgogne ; mais les douves en sont trop minces, & comme ils sont communément fabriqués en bois de mûrier, très-poreux, l’évaporation est prodigieuse. Plus le vin est de qualité médiocre, sujet à aigrir, pousser, &c. & plus il est important de le tenir en grande masse, afin de le conserver. C’est peut-être ce motif qui a déterminé les propriétaires des vignobles du nord à construire ces grands foudres ; peut-être aussi la facilité de se procurer les bois nécessaires à leur construction y a-t-elle contribué pour beaucoup. Ce qu’il y a de sûr, c’est qu’on y conserve des vins du Rhin, &c. depuis trente à quarante ans, & même plus. Chaque année on en tire un certain nombre de barriques, & chaque année on remplit le vide par du vin nouveau.

J’insiste fortement sur l’introduction des foudres dans nos grands pays de vignobles, non-seulement dans la vue d’y perfectionner les vins, mais encore sur un objet d’économie. On compte qu’il faut, année commune, cinq barriques de vin sur cent, pour équivaloir à la perte causée par l’évaporation, sans parler de la diminution de la qualité par la privation du spiritueux. Des foudres en béton ou en douves ou madriers épais de huit à dix pouces, que je suppose d’une contenance égale à celle des cent barriques, ne perdront pas en vin le contenu d’une de ces barriques : c’est donc sur la quantité une économie de quatre par cent ; jugez donc ce qu’elle sera relativement à la qualité.

Je conviens que le premier achat des bois nécessaires à la construction des foudres, sera dispendieux, & leurs cerceaux en fer coûteront beaucoup ; mais la dépense une fois faite, si le bois a été bien choisi, si on a supprimé tout l’aubier, (voyez ce mot) si on n’a rien négligé dans la fabrication, &c. les foudres n’exigeront pas la plus légère réparation pendant au moins un demi-siècle.

Actuellement mettons bout à bout ce que coûte chaque année l’achat des barriques, celui des cerceaux, de l’osier, du jonc, la main d’œuvre de l’ouvrier pour les relier, & observons que tous les deux ans au moins les cerceaux des bourguignotes doivent être renouvelés, & l’on verra que la dépense de ces détails pendant cinquante ans, excédera de beaucoup la première mise pour les foudres. Souvent un grand nombre de particuliers n’est pas en état de faire ces premières avances, & il s’apperçoit moins du prix de l’entretien ou renouvellement partiel ; mais s’il ne peut imiter les gens riches, & se procurer ces grands foudres, que chaque année il en fasse construire un plus petit, & de la contenance de huit à dix barriques, ou plus, suivant ses facultés.

On attend communément la veille des vendanges pour faire relier ses tonneaux ; les ouvriers sont pressés, sollicités de toutes parts ; chacun veut les avoir ; alors leurs plus chétifs apprentifs prennent la place des compagnons ; les maîtres, les apprentifs & les compagnons brusquent le travail ; on a payé leurs journées au double ; on croit avoir de bonnes futailles, & l’on est parvenu à grands frais à n’avoir que des vaisseaux qui