Page:Rozier - Cours d’agriculture, 1784, tome 5.djvu/206

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Famille royale goûtèrent du pain fait avec ce blé, & récolté depuis plus de deux siècles. À Sedan on trouva pareillement une masse de blé qui existoit depuis 110 ans. On peut citer une infinité d’exemples en ce genre ; mais ceux-là suffisent, parce qu’on ne peut révoquer en doute leur authenticité. Tous ces blés étoient recouverts d’une croûte épaisse de quelques pouces qui interdisoit la communication entre l’intérieur du monceau & l’air extérieur.

Il y a plusieurs méthodes pour y réussir, la première est d’asperger le monceau de blé, disposé soit en cône, soit en pyramide quarrée, soit en quarré plus ou moins alongé, avec une certaine quantité d’eau, mais pas assez considérable pour pénétrer avant dans l’intérieur du monceau. Il vaut beaucoup mieux revenir à l’opération pendant plusieurs jours de suite. On prend un balai que l’on trempe dans un vase plein d’eau, & on asperge de cet eau également tout le monceau. Le grain mouillé, & à côté d’autres grains mouillés, s’enfle, germe, les radicules forment insensiblement une croûte par leur mélange, & on cesse d’asperger lorsque tout le monceau est couvert, & par les racines & par les jeunes tiges. Ne trouvant plus un aliment convenable, les jeunes tiges & les racines se dessèchent, & le tout forme une croûte universelle. Par cette méthode on gâte en pure perte une couche assez épaisse de grains, & la couche inférieure contracte souvent un goût & une odeur de moisi ; de chanci, &c.

La seconde méthode, préférable à la première à tous égards, consiste à couvrir le monceau de grain de deux pouces de chaux, ou de plâtre réduits en poudre très-fine, & d’asperger chaque jour. La chaux, (voyez ce mot) vaut infiniment mieux que le plâtre, parce qu’une fois cristallisée elle n’attire plus l’humidité de l’air, au lieu que le plâtre travaille toujours. Comme la chaux est réduite en poussière fine, & surtout très-sèche, elle absorbe l’humidité qui s’élève du monceau par la transpiration du grain, (quoique déjà supposé bien sec à la vue & au toucher) & la partie inférieure de la couche de la chaux, se cristallise insensiblement. L’aspersion que l’on donne à la partie extérieure de cette couche, la fait également cristalliser ; enfin, sa masse totale est cristallisée, & ne permet plus la communication de l’air extérieur avec l’intérieur du monceau.

Si par le tassement du blé, ou par la retraite que la poussière de chaux prend en se cristallisant, il se forme des crevasses, il faut avoir grand foin de les remplir avec de nouvelle poussière de chaux, & de l’imbiber d’eau sur le champ.

Je pense que, si dans le monceau de blé il existoit des charançons, des fausses teignes, &c. ces insectes y périroient, soit parce qu’ils n’auroient plus un air frais pour respirer, soit parce que leurs dégâts une fois faits, ils ne pourroient pas en recommencer de nouveaux, attendu que leur accouplement & leur régénération deviendroient impossibles. Malgré les plus exactes recherches, je n’ai jamais vu ces insectes s’accoupler dans l’intérieur des monceaux de grains, mais toujours à l’extérieur ; cependant je n’ose affirmer que cela soit toujours ainsi, quant à l’air libre seulement.