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établi leur opération sur un courant d’eau, elles auroient construit une machine qui eût remué & frotté les grains. Moi, je mis tout simplement les miens dans des baquets, & je les fis travailler avec les mains. D’abord mes garçons répugnoient à cette sorte de travail ; d’ailleurs, pour les encourager, & en même temps pour m’assurer que ma lessive seroit bien faite, je voulus donner l’exemple, & je mis la main à l’œuvre. »

» Au reste les grains gâtés ne me paroissoient pas demander une manipulation égale. Selon que la carie étoit plus ou moins ancienne, plus ou moins profonde, je leur donnois plus ou moins de lavages ; il y en avoit tels à qui deux eaux suffisoient, tandis qu’il en falloit à d’autres jusqu’à quatre ou cinq. »

» Les blés niellés & noirs exigeoient une autre attention, encore parce qu’ils ont beaucoup de grains vides. Après avoir mis dans le baquet trois ou quatre seaux d’eau, je les y versai doucement & à plusieurs reprises, en les remuant avec les mains, Les grains vides, l’ivraie,[1] & les graines étrangères qu’ils contenoient, surnageoient d’elles-mêmes, & je les enlevois avec une écumoire. Quand il n’en surnageoit plus, je versois avec précaution l’eau qui étoit devenue sale, j’en mettois d’autre, & alors je frottais avec les mains le blé contre les parois du tonneau aussi vigoureusement qu’il m’étoit possible, ayant soin de renouveler l’eau de temps en temps, selon que le grain l’exigeoit. Lorsqu’il ne salissoit plus, & qu’il me paroissoit net, je le versois avec une pelle dans une manne d’osier, où je le laissois bien égoutter ; car on comprend que mieux il est égoutté dans la manne, moins il coûtera de bois lors de l’étuvée. »

» Pour graduer la chaleur de mon poêle, j’avois placé dans l’étuve un thermomètre. Aux blés récoltés humides, que je voulois simplement sécher pour moudre ensuite, je donnois 50 à 60 degrés de chaleur ; à ceux que je destinois à faire des farines d’exportation, j’en donnai depuis 80 jusqu’à 90. Au reste, il y a sur cela un tact qu’on a bientôt acquis, & ce tact doit tout conduire, car on sait qu’il ne faut pas pour moudre qu’un blé soit trop sec. »

» En douze heures j’étuvois, des premiers, huit setiers environ, mesure de Paris ; quatre ou quatre & demi des seconds, & environ trois ou quatre des blés lavés, niellés & noirs ; je faisois deux étuvées consécutives des blés récoltés humides ; ce qui me donnoit en vingt-quatre heures 15 à 16 setiers bons à moudre. Pour les blés qui avoient été lavés je n’en faisois qu’une étuvée par jour, & je conseille de n’en pas faire davantage. Pendant l’opération je les

  1. Note de l’Éditeur. J’ai fait souvent laver des blés ; mais je n’ai vu l’ivraie, la graine de la nielle, (nigella arvensis) ni les différentes graines de la nombreuse famille des plantes légumineuses, surnager l’eau, à moins qu’elles n’eussent déjà été gâtées, viciées, & ces dernières attaquées par les insectes. Celles dont parle l’Auteur, étoient sans doute dans ce cas.