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que le premier ait été tout dégrossi. C’est ainsi que se nomme cette première opération.

Si le vent continue, les mêmes batteurs abandonnent les fourches, prennent des pelles de bois & jettent aussi haut & aussi loin qu’ils peuvent contre le vent, le grain dégrossi : c’est en quoi consiste proprement l’opération de venter. Les petits corps rassemblés sur la pelle ont chacun une pesanteur spécifique, & en raison de cette pesanteur & de la force avec laquelle ils sont poussés, ils tombent plus ou moins loin. Ainsi les pierrailles se séparent du grain ainsi que les débris de paille, de balle, &c.

Le batteur seroit heureux si, sur le soir de chaque journée, ou au moins tous les deux ou trois jours, il avoit le vent à sa disposition. L’aire seroit appropriée & les grains ammoncelés ne tiendroient plus une place inutile ; ils ne seroient point exposés à la rapacité de ces gens toujours avides du bien d’autrui, & le propriétaire, chaque soir, auroit la satisfaction de renfermer les grains battus dans la journée.

Les vents changent, le tonnerre se fait entendre au loin, l’orage approche, la pluie est prête à tomber ; il faut rassembler le grain, chacun court, chacun s’empresse, on l’amoncelle, & cette balle, auparavant si incommode, sert à recouvrir le tas & met le grain à l’abri d’une pluie passagère ; mais si elle devient forte, ou de longue durée, elle pénètre jusqu’au grain, de manière que toute la circonférence du monceau, ainsi que la partie qui porte sur le sol, sont imbibées d’eau ; si la pluie persiste pendant plusieurs jours, le grain humecté s’échauffe, germe ou moisit.

Ces contre-temps fâcheux & trop-fréquens sont plus à craindre dans les aires bannales que par-tout ailleurs, parce que les gerbiers de différens particuliers y sont trop multipliés, trop pressés les uns contre les autres, & à peine laisse-t-on à l’aire une étendue suffisante. Comme chacun est obligé d’y battre à son rang, on n’est pas dans le cas de choisir les jours opportuns, il faut tout faire à la hâte.

Les propriétaires aisés placent, autant qu’ils le peuvent, l’aire près de l’habitation, & pour peu qu’elle en soit éloignée, ils font construire dans un des coins une maisonnette qu’on appelle la Saint-Martin ; elle sert à contenir le grain battu, venté & vanné, jusqu’à ce qu’on le porte au grenier, & dans un cas pressant, à recevoir le grain étendu sur l’aire.

On sera peut-être étonné qu’il y ait des aires bannales, puisque chaque particulier peut en pratiquer une sur son champ. Il est constant en général que cela vaudroit beaucoup mieux ; mais le possesseur d’un petit champ ou d’un champ éloigné, & habitant d’une ville ou d’un village, préfère d’avoir son gerbier près de lui, plutôt que de le laisser isolé, sans garde & à la merci des voleurs. L’aire bannale est plus commode ; elle devient même indispensable dans le Bas-Dauphiné, dans le Comtat d’Avignon, dans la Provence, dans le Languedoc, &c. où presque tous les villages ont été anciennement fermés de murs à cause des guerres civiles, & où les habitans sont comme amoncelés.