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que 100 livres de lait ne produisent ordinairement que 20 livres de fromage.

Le bon fromage de Roquefort doit être frais, d’une saveur douce, agréable, bien persillé, c’est-à-dire, parsemé de veines bleuâtres dans son intérieur. Leur épaisseur dépend de la forme dans laquelle ils ont été faits : elle va d’un pouce à plus d’un pied, & leur poids de 2 à 40 liv.

Le petit lait qui s’est séparé du fromage dans la chaudière, sert à faire ce qu’on appelle dans le pays des recuites. On le met sur le feu, & à mesure qu’il s’échauffe sa surface & le tour de la chaudière se chargent d’une écume blanche, où sont mêlées quelques parties caséeuses ; on les enlève ainsi que l’écume pour les jeter. Ce petit lait étant ainsi purifié, on y répand deux livres de lait qu’on a eu soin de garder de la traite. On entretient le feu sous la chaudière, ensorte que la liqueur ne bouille pas. Quelques instans après, ce mélange se divise en une sérosité limpide & en une substance coagulée, qui s’élevant peu à peu & par masses, couvre enfin toute la superficie de la partie séreuse. Dès qu’elle est rassemblée à l’épaisseur d’environ deux pouces, les recuites se trouvent formées. On ôte alors la chaudière de dessus le feu, & les tirant avec une écumoire un peu grande, on les met dans des écuelles. Ce mets a bon goût & sert de nourriture aux habitans du Lazart & des environs, pendant la saison du lait. Comme elles s’aigrissent dans les 24 heures, les particuliers vendent, à ceux qui n’en ont point, celles qu’ils ne peuvent consommer, & le prix est ordinairement le même que celui des fromages frais du pays. On devroit essayer à Roquefort la préparation des brocotes, ainsi qu’il a été dit plus haut à l’article du fromage de Gruyère.

Après avoir ôté les recuites de la chaudière, on jette des morceaux de pain, & deux ou trois recuites mises en réserve dans la partie aqueuse qui y reste. C’est une des principales nourritures que l’on donne aux domestiques & aux gens les plus grossiers de la campagne.

Dans l’arrière saison, lorsque les brebis ne donnent pas dans un jour assez de lait pour faire des fromages un peu grands, on le garde d’un jour à l’autre : & pour empêcher qu’il ne s’aigrisse, on le coule dans une chaudière, on l’approche du feu, & on le fait chauffer jusqu’à ce qu’il soit près de bouillir. Le lendemain après avoir enlevé avec une écumoire les parties butireuses qui sont amassées à la surface, on mêle ce lait avec celui qui est nouvellement tiré, on y jette la présure & on fait le fromage comme il est dit ci-dessus ; mais comme ce mélange ne produit jamais qu’un fromage inférieur en bonté & en délicatesse, on ne pratique cette méthode que le moins que l’on peut. La crème qu’on enlève de dessus le lait du jour précèdent forme un beurre qui est exquis, lequel se vend sous le nom de Crème de Roquefort.

On contrefait dans le voisinage le fromage de Roquefort, quoiqu’on n’y ait pas l’avantage des caves excellentes de cet endroit : l’écorce du fromage contrefait est blanchâtre ; il se carie aisément ; à la longue il diminue de huit pour cent de son poids, tandis que ceux de Roquefort ne diminuent dans