Ce qui devient réellement la nourriture de l’animal, est la partie sucrée, élaborée avec la partie mucilagineuse qui donnoit le goût d’herbe : l’une, séparée de l’autre, nourrit peu & nourrit mal. Par la dessiccation, l’eau de végétation s’évapore, & les principes mucilagineux & sucrés restent combinés ensemble. La salive de l’animal, lors de la mastication, délaye les uns & les autres ; la charpente de la plante leste l’estomac, & ne nourrit pas. Ainsi l’herbe, n’étant qu’herbe, contient seulement du mucilage, peu digestif par lui-même lorsqu’il est sec. L’herbe, au moment de la fleuraison & de la formation du grain, contient alors du mucilage & du principe sucré en abondance ; ce dernier est le véhicule ou l’excitateur à la digestion de l’autre. Enfin, lorsque le grain est mûr, une très-grande partie du mucilage est détruite, ainsi que du principe sucré, parce qu’ils ont servi à la formation, à l’accroissement & à la perfection du grain, unique but de la nature, qui veille à la reproduction & à la conservation des individus de toute espèce de plantes.
Si ces principes sont reconnus pour tels, il est donc démontré qu’on doit couper le fourrage dès que la majeure partie des fleurs des plantes graminées a noué ; & que, si on attend que la plante jaunisse, & sur-tout se dessèche sur pied, on récolte, il est vrai, la même quantité de fourrage, mais non pas d’une qualité approchante de celle dont nous parlons, & qui, même, ne peut en aucune sorte lui être comparée, ni relativement à la partie nutritive, ni à l’odeur ni à la couleur.
Cependant, si, à l’époque que l’on indique, il pleuvoit, ou si on étoit menacé d’une pluie prochaine ou d’un orage, il vaudroit mieux retarder de quelques jours la fauchaison, que de couper une herbe trop remplie d’eau de végétation, ou qui seroit dans le cas d’être mouillée, lorsqu’elle seroit étendue sur le sol. Il faut, autant qu’on le peut, couper par un temps sec & avec un beau soleil, & même attendre que la rosée soit levée, parce qu’elle contribue à décolorer l’herbe, comme on le verra ci-après.
Il y a donc abus & perte réelle, soit en fauchant trop tôt, soit en fauchant trop tard, & je préférerois le dernier au premier, parce que la seconde coupe ou le regain dédommageroit de la perte sur le premier foin. En Angleterre, par exemple, on se hâte de faucher, parce qu’on compte beaucoup sur la seconde & sur la troisième coupe : j’admets que cette méthode soit utile en Angleterre & dans les pays dont le climat ressemble à celui de cette île, mais il n’en est pas moins vrai que cette méthode seroit très-pernicieuse à la majeure partie de la France.
On attend communément que l’herbe jaunisse pour faucher. Je demande quel degré d’intensité du jaune indique le moment de faucher ? La nuance dépend de plusieurs causes : un seul jour vaporeux, mais très-chaud, jaunira souvent plus l’herbe qu’elle ne l’auroit été par un beau soleil pendant plusieurs jours. Supposons la graduation de dix degrés dans les nuances du jaune, & supposons que la plante est au quatrième ; qu’il survienne une pluie suffisante pour pénétrer à ses racines, la plante reverdira aussitôt jusqu’à un certain point,