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expériences : une feuille d’ortie posée sur l’eau par sa surface supérieure, a vécu deux mois, & une de mélisse, posée par l’inférieure, a vécu environ quatre mois & demi.

Il arrive souvent que lorsqu’on commence ces expériences des feuilles paroissent se faner, & qu’elles reprennent ensuite leur vigueur naturelle. Cela vient de la transpiration insensible qui leur fait perdre une partie de leurs sucs, avant qu’elles aient pu pomper une assez grande quantité d’eau pour se soutenir & vivre.

Les feuilles de seize espèces d’arbres ont pareillement été mises en expériences ; celles du lilas, du poirier, de la vigne, du tremble, du laurier-cerise, du cerisier, du prunier, du marronnier d’inde, du mûrier blanc, du tilleul, du peuplier, de l’abricotier, du noyer, du coudrier, du chêne, & de la vigne de Canada.

Dans toutes, la surface inférieure l’a emporté sensiblement sur celle opposée, excepté dans le lilas & le tremble.

La faculté de pomper l’humidité est si essentielle à la conservation & à la vie de la feuille, que dès l’instant qu’on l’en prive par le moyen d’un vernis, d’une couche huileuse dont on la couvre, elle languit & meurt bientôt ; les plantes les plus herbacées éprouvent de plus vives & de plus grandes altérations que les plus ligneuses & les plus dures ; la surface inférieure en souffre plus que la supérieure, sans doute à cause du vernis naturel dont celle-ci est enduite, & qui lui a servi de défense.

La feuille ne jouit pas seulement de cette faculté de l’intérieur à l’extérieur, c’est-à-dire, elle ne pompe pas seulement l’humidité & l’air qui l’environne, mais elle agit encore intérieurement du côté de la tige, à travers le pétiole, & elle attire très-fortement à elle la sève circulante, & la force, pour ainsi dire, d’enfiler les vaisseaux du pétiole, & de venir se disséminer dans son parenchyme & dans toutes les parties qui la composent.

Toutes les expériences qui viennent d’être rapportées, prouvent donc bien que les feuilles pompent & l’air & l’humidité ; il est constant qu’il y a une étroite communication de la feuille au pétiole, du pétiole à la tige & à toute la plante ; ainsi, comme s’exprime si judicieusement M. Bonnet, « les végétaux sont plantés dans l’air, à peu près comme ils le sont dans la terre. Les feuilles sont aux branches ce que le chevelu est aux racines. L’air est un terrein fertile où les feuilles puisent abondamment des nourritures de toute espèce. La nature a donné beaucoup de surface à ces racines aériennes, afin de les mettre en état de rassembler plus de vapeurs & d’exhalaisons ; les poils dont elle les a pourvues, arrêtent ces sucs ; de petits tuyaux, toujours ouverts, les reçoivent & les transmettent à l’intérieur. On peut même douter si ces poils ne sont pas eux-mêmes des espèces de suçoirs. (Voyez Poil) Souvent, au-lieu de poils, les feuilles n’offrent que de petites inégalités, qui produisent apparemment les mêmes effets essentiels. Dans les espèces dont les feuilles sont si étroites, qu’elles ressemblent plus à des petits tuyaux qu’à de véritables feuilles,