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absolument de la nature & de la qualité du terrein qu’on veut entreprendre de cultiver ; le laboureur doit bien le connoître avant d’y mettre la charrue. Dans une terre forte, tenace, une charrue d’une construction solide, dont le sep est armé d’un soc assez large, qui est précédé d’un ou deux coutres, ouvrira un profond & large sillon, en renversant la terre sur le côté : au contraire, si on y employoit une charrue légère, dont le soc peu aigu ne seroit point précédé par un coutre, à peine pourroit-il entrer pour fendre la terre. Quand le terrein est léger, sablonneux, friable, une forte charrue devient un instrument inutile ; si on s’en sert, on ne donne pas à ce terrein la culture qui lui est propre : au lieu d’être ameublie, la terre est trop battue, & la semence a bien de la peine à germer.

Tous les terreins ne se prêtent pas aux mêmes méthodes de culture. Telle manière de préparer la terre pour la rendre propre à faire germer les grains qu’on y jette, & à féconder les plantes qui en proviennent, ne convient pas à toutes sortes de sols. Il y a une très-grande différence entre un sable léger, une terre friable & une glaise tenace. La manière de les cultiver ne peut donc point être la même, puisque leur nature, leurs qualités diffèrent si essentiellement : le même instrument ne peut point convenir à donner la culture qui est propre à ces diverses espèces de terreins. Quel labour feroit dans une glaise tenace, une charrue légère qui cultive merveilleusement un sol sablonneux ou friable ? Outre qu’il faut avoir égard à la qualité des terres, dans le choix des charrues, on doit encore considérer la quantité de bonne terre que peut avoir un sol : il y en a qui n’ont que six ou huit pouces de bonne terre, au dessous de laquelle on trouve du gravier, de la craie, ou du tuf. Une charrue forte qui prendroit trop d’entrure, ramèneroit à la surface ces mauvaises qualités de terres, qui se mêleroient avec les bonnes. Une charrue légère à laquelle on fait prendre aussi peu d’entrure qu’on veut, est donc l’instrument de culture qu’on doit employer dans ces sortes de terreins.

Anciennement on ne faisoit aucune observation sur la nature & la qualité de la terre, relativement aux instrumens qu’on vouloit employer pour la cultiver. Quelle que fût une charrue, on s’en servoit indifféremment dans un terrein fort ou léger ; aussi l’Agriculture étoit dans un état très-médiocre, & fort inférieur à celui dont elle jouit aujourd’hui : on n’imaginoit pas qu’une charrue légère ne pouvoit donner qu’un mauvais labour dans un terrein fort & tenace ; qu’un soc très-aigu & bien tranchant ne devoit servir qu’à ouvrir les terres fortes & compactes, & qu’il étoit inutile qu’il fut si acéré pour les terreins pierreux, & graveleux.

Dans sa Maison Rustique, M. Liébaut ne traite de la charrue, que pour dire qu’il faut la laisser telle qu’elle est, sans entrer dans aucun détail touchant sa construction. M. de La Salle, dans son Manuel d’Agriculture, est du même sentiment, puisqu’il dit aussi qu’il faut laisser au laboureur son soc, comme l’établit Olivier de Serres d’après Caton. Je dis au contraire, qu’il ne faut point