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sexes séparés dans certaines fleurs, sont un point de fait démontré aujourd’hui jusqu’à l’évidence, & d’où dépend essentiellement toute espèce de fructification ; c’est une loi immuable de la nature ; il faut dans tout & par-tout le concours du mâle & de la femelle pour produire. Il est aisé de concevoir qu’une copulation aussi délicate, exige, pour être suivie de son effet, le concours des circonstances & une saison propice à cause de la ténuité des parties. Une pluie ou trop forte ou trop froide, un vent impétueux ou froid la dérangent ; la fleur avorte & le fruit coule.

Au moment de la fécondation, les anthères s’ouvrent avec élasticité ; ce réservoir de la semence répand sur la partie femelle, une multitude incroyable de globules, d’où sort une vapeur fécondante qui, pénétrant le pistil, va animer le germe. Ce mécanisme bien connu, l’homme peut produire sur les fleurs, d’une manière aussi décidée, l’avortement ou la stérilité. S’il coupe les anthères avant la projection des étamines, la graine sera inféconde, malgré sa maturité, comme l’œuf d’une poule, qui n’a pas éprouvé les approches d’un coq ; c’est un second genre d’avortement.

Il est aisé de conclure, que le froid resserre les parties de la génération, empêche le développement des étamines ; qu’un vent trop chaud dessèche la vapeur fécondante ; qu’elle ne peut pénétrer dans le pistil chargé de l’eau de pluie ; que cette pluie l’entraîne &c. Quel habitant de la campagne, n’a pas remarquée, que de la bonne fleuraison des vignes, des blés, dépend l’abondance ; que cette abondance suit toujours une belle saison, & que de-là est venue cette expression, mes vignes, mes blés ont bien passé fleur. Si le tems a été froid, agité par de grands vents ou trop froids ou trop chauds, il dit tristement mes vignes ont coulé.

La coulure, comme je l’ai déjà dit, est pour les fruits, & l’avortement pour les fleurs. La coulure suit toujours l’avortement, & n’a que trop souvent lieu après une bonne fécondation. Si quelques temps après la fleuraison, il survient des pluies, des froids, le grain se fond : cette expression, quoique métaphorique, est très-juste ; il se dessèche, souvent presqu’en un clin d’œil ; il tombe, & ne laisse pas même sur la grappe, par exemple, le plus léger vestige de son existence, quoique la petite queue qui portoit ce grain, fît corps avec la grappe générale. Il en est ainsi pour le blé & pour toutes les fleurs en général. Cultivateurs infortunés, classe si dédaignée par les gens riches, que d’inquiétudes vous devez avoir à l’époque de la fleuraison, que de risques vous avez à courir depuis le moment que vous confiez votre grain à la terre, jusqu’au moment ou vous le récolterez ! Peut-être, en vous instruisant sur le mystère de la génération des plantes, vais-je encore augmenter vos alarmes, sans pouvoir vous offrir aucun expédient capable de prévenir l’avortement des fleurs, & la coulure des grains, des fruits, &c. Sachons donc nous soumettre aux circonstances, &, pour notre consolation, disons : tout ne sera pas perdu, & une bonne année dédommagera d’une médiocre.


COUPE, FAUSSE-COUPE,