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quantités de ces chenilles distribuées par troupes, qui traversoient les chemins, pour aller dévaster un champ semé de légumes, après avoir tout dévoré dans celui qu’elles abandonnoient. Elles attaquent indifféremment toutes sortes de plantes : quand elles n’ont pas à leur disposition des légumes, des plantes potagères, qu’elles préfèrent, elles vont manger les feuilles de la renouée, du trèfle, du gramen, des chardons, de la bardanne, de la sauge, de l’absinthe. Elles aiment passionnément les feuilles de chanvre, celles des avoines, & ne dédaignent pas celles du tabac, dont il semble que l’amertume devroit les éloigner. Quand le chanvre est jeune, elles en rongent l’extrémité, ce qui l’empêche de croître & de donner de la graine.


Article III.

Chenille surnommée la Livrée.


La chenille à livrée est ainsi nommée, à cause des bandes longitudinales de diverses couleurs, qui parent son corps, & lui donnent quelque ressemblance à un ruban. Il règne au milieu de son dos, dans toute la longueur, un petit filet blanc, accompagné de chaque côté d’une bande bleue, bordée de part & d’autre d’un cordonnet rougeâtre : sa tête & sa partie postérieure sont bleuâtres. Cette chenille est très-commune dans les jardins & les vergers. Les feuilles des arbres à fruit, & celles de plusieurs autres sont de son goût. Il y a des années où elle est si commune, qu’elle fait les plus grands dégâts, qu’elle dépouille de leurs feuilles tous les arbres fruitiers sur lesquels elle s’établit.

Pour se métamorphoser en chrysalide, la chenille à livrée file une soie presque blanche, dont elle construit une coque à peu près semblable à celle du ver à soie. Cette coque, d’un tissu très-fin, seroit transparente, si elle n’étoit poudrée intérieurement d’une poussière jaune, qui la rend opaque, & lui donne une couleur citron, sans laquelle elle seroit blanche. À peine la coque est-elle finie, que la chenille jette par l’anus une matière jaune & liquide, qu’elle étend avec sa tête contre les parois intérieures de sa coque. Cette matière, ainsi distribuée & appliquée, donne à la coque en séchant promptement, cette couleur jaune qu’elle a. Lorsqu’on froisse ces coques avec les doigts, il s’en détache une poussière, qui n’est autre chose que la matière liquide que la chenille a jetée par l’anus, qui s’est desséchée tout de suite. Au bout d’un mois environ, il sort de ces coques des papillons, dont les ailes sont en partie d’un clair tirant sur l’agate, en partie isabelle. On distingue le mâle à sa couleur, qui est plus claire, & à son activité : la femelle ne fait point usage de ses ailes pour aller trouver le mâle ; elle attend qu’il vienne la féconder.

Il seroit sans doute très-intéressant de détruire les couvées de ces sortes d’insectes, si nuisibles par leur voracité ; mais l’industrie des femelles les dérobe souvent à nos yeux & à nos recherches. Pour peu qu’on ait été curieux d’observer dans la campagne où les femelles des papillons ont déposé leurs œufs, il est rare qu’on n’ait point remarqué, autour des jeunes branches d’arbres, des anneaux de cinq ou six lignes de largeur, formés par de petits grains, qui sont les œufs