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CHAPITRE V.

Des avantages qu’on retire des Bois de Chêne, & du temps indiqué par la nature pour en abattre les forêts.


De tous les bois d’Europe, il n’en existe aucun comparable à celui-ci, soit pour la solidité & pour la durée ; il devient, pour ainsi dire, immortel s’il est employé dans l’eau, & s’il en est toujours recouvert : il change de couleur, & parvient insensiblement à celle du noir d’ébène ; prend le plus beau poli, & je ne connois pas le terme de sa durée dans cet état.

La durée des chênes ordinaires dépend de leur tissu, plus ou moins serré. Le bois du chêne à larges feuilles de l’Angoumois, est moins compacte que celui du chêne commun : plus doux au ciseau, plus docile à la main de l’ouvrier, il est préférable à tout autre pour la menuiserie, la sculpture. L’artiste devroit donc connoître les différentes espèces de chêne, afin de s’en servir suivant les ouvrages auxquels elles conviennent.

Les chênes du midi du royaume sont à préférer, pour la durée, à ceux du nord. Le bois de ceux qui croissent dans les bas-fonds, dans les endroits humides, sur les revers de montagnes exposés au nord, sont plus spongieux que ceux qui végètent dans les lieux secs & exposés au midi.

Je préférerois, pour les ouvrages destinés à être exposés continuellement à l’air, le bois des chênes verts : ces arbres ont peu d’élévation dans nos provinces méridionales ; mais en Corse, mais en Espagne, &c. on trouve des forêts entières de cet arbre précieux, & dont les quilles droites & unies ont souvent plus de quarante pieds de hauteur. Leur diamètre, il est vrai, n’est pas à comparer à celui des chênes majestueux de nos climats ; on a plus souvent besoin d’une pièce longue & droite, que d’une pièce épaisse. Tout le train de l’artillerie espagnole est fait avec ce bois, & il brave la chaleur excessive du soleil de ce pays : je conviens que les affûts, &c. sont plus lourds que ceux de l’artillerie de France, ce qui est fort indifférent pour des affûts de rempart.

Tout proprétaire qui veut abattre des chênes, & qui les destine à la charpente de sa maison, doit, une année d’avance, les faire écorcer sur pied, & pendant la plus grande sève. Par cette opération, toute la partie de l’aubier se change & se convertit en bois parfait, & le bois parfait lui-même acquiert une plus grande solidité. (Voyez les belles expériences de M. de Buffon, rapportées au mot Aubier.) Les jeunes arbres écorcés meurent dès la première année, les gros végètent encore deux ou trois ans.

Si on néglige d’écorcer l’arbre sur pied, il convient de le faire aussitôt qu’il est abattu ; de ne pas laisser le tronc couché par terre, mais de l’assujettir en ligne presque perpendiculaire, en buttant plusieurs troncs les uns contre les autres, & laissant un espace entre chacun, afin que le courant d’air agisse sur toutes les parties de ces troncs. Il est démontré, par l’expérience la plus décisive, que le bois abattu, & dont