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comme l’apronienne, la lutacienne, la cécilienne, la julienne, &c. Les romains ont même emprunté un mot celtique pour caractériser une cerise fondante ou remplie d’eau ; ils l’ont appelée duracine, du mot dur, qui veut dire eau, ainsi que dor. Si Lucullus avoit rapporté de Cerasunte ces différentes espèces, elles auroient conservé le nom sous lequel elles étoient connues dans leur pays natal, & ils n’auroient pas été obligés d’emprunter un mot celtique plutôt qu’un mot grec ; & le terme duracine suppose déjà que cette cerise existoit dans le pays des descendans des celtes. Pline parle des cerises de la Gaule Belgique, de celles qui croissent sur les bords du Rhin ; enfin, il ajoute : « il n’y a pas cinq ans, que les laurines ont commencé à paroître ; elles ont été nommées ainsi, parce qu’elles ont été greffées sur des lauriers ; elles ont une amertume qui ne déplaît point. » Ce fait seul suffit pour prouver les expériences mises en pratique par les romains, afin de parvenir à perfectionner les fruits.

Je regarde, ainsi que je l’ai dit, le merisier comme le type général des cerises à fruit doux ; & les différentes espèces de merisiers qui se rencontrent dans nos forêts, comme le type secondaire des espèces de cette famille. L’existence des différentes espèces de merisiers n’en point idéale ; j’en ai reconnu plusieurs de très-marquées, de très-sensibles, je ne dis pas aux yeux du botaniste qui généralise trop, mais à ceux du cultivateur. Je prie ceux qui habitent le voisinage des grandes forêts, de vérifier ce fait par eux-mêmes, & de s’occuper à les classer ; objet dont il est impossible de m’occuper aujourd’hui. Je leur aurai la plus grande obligation, s’ils ont la bonté de me communiquer le résultat de leur travail.

Outre le merisier à fruit doux très-sucré, très-vineux, on rencontre dans les forêts un cerisier moins fort, moins élevé que le merisier, dont le fruit a plus de consistance, plus de fermeté, & est moins coloré. Je le regarde comme le type des cerisiers nommés bigarreaux, & un autre cerisier sauvage, nommé cerisier à la feuille, parce qu’il a des feuilles attachées aux queues des cerises, comme une espèce qui se rapproche des bigarreaux.

Je conviens que les fruits de ces derniers arbres & de plusieurs autres qu’on pourroit encore citer, sont plus ou moins amers, & quelques-uns sont très-acerbes ; mais ne peut-on pas supposer qu’on aura trouvé le fruit d’un arbre plus doux ou moins amer, ou moins acerbe qu’un autre, & qu’on l’aura greffé ; enfin, que de greffe en greffe, le fruit se sera perfectionné ? On connoît l’heureuse métamorphose produite par l’effet de la greffe ; & après la cinquième greffe, je suis parvenu à rendre très-douce la chair d’un pommier sauvage, quoique la greffe ait toujours été prise sur les pousses des années précédentes c’est-à-dire, en greffant cinq fois de suite franc sur franc.

Il existe encore une autre espèce de merise à fruit acide, approchant de celui nommé griotte en province & cerise à Paris, qui est le type des cerises à fruit acide. Voilà donc l’origine des trois divisions de la famille des cerisiers (je parle le langage des jardiniers) indigènes à nos climats. Tout me porte à croire que la culture a fait le reste, & que Lucullus a fort bien pu donner aux romains la