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chers, qui ont toujours été chargés de très-beaux fruits. Le buisson a l’avantage sur l’espalier d’avoir toujours une très-grande partie de ses branches & de ses fruits, garantie du vent dominant, & de présenter une surface immense à l’action de l’air & du soleil. Qu’est-ce qu’un arbre taillé en espalier d’une toise de longueur ? ce n’est rien. Mais un espalier d’une toise de diamètre dans son milieu, offre dans le contour trois toises de circonférence, & au moins quatre à son sommet. Que sera donc la surface d’un buisson de deux à trois toises de diamètre, ainsi qu’il en existe ?

Ces arbres prodigieux pour le volume font sentir la nécessité indispensable de ne pas planter les arbres trop près les uns des autres, autrement les branches se toucheroient bientôt, se confondroient ensemble, si les racines, après s’être entre-mêlées les unes avec les autres, ne s’épuisoient mutuellement & n’empêchoient le développement des branches.

Si l’on compare actuellement la manière dont le commun des jardiniers taille les buissons, on sera peu surpris de leur prompt dépérissement. En effet, qu’on suppose un pivot quelconque, d’où partent depuis six jusqu’à douze branches droites, qui ont plutôt l’air de manches à balai tortueux que de toute autre chose ; voilà leur buisson. La sève cherche toujours à monter ; la branche se dépouille de bourgeons à bois, elle s’emporte au sommet, & ce sommet est chargé & surchargé de bois gourmand qu’on supprime chaque année, & même deux fois. Ne voit-on pas que par ces pertes annuelles, que par les plaies faites à l’arbre, & dans un nombre prodigieux, on l’épuise ? Croyez-vous que la nature a fait les frais de la végétation de ces branches gourmandes uniquement pour exercer votre jardinier & sa serpette ? Croyez-moi, laissez vos arbres livrés à eux-mêmes, & confiés aux seuls soins de la nature ; elle apportera le secours nécessaire, & remédiera aux maux que vous avez faits aux buissons.

J’ai vu un nouveau genre de buisson chez un particulier, très-grand observateur de la nature. Ce buisson n’a pas le mérite de celui qui est symétrisé & ménagé d’après des principes. Il a tout uniment planté ses arbres à la manière accoutumée ; leur a laissé cinq à six pouces au dessus de la greffe, & a chargé la nature de leur éducation, de leur entretien, de leur taille ; en un mot, il ne s’en mêle pas plus que des arbres de ses forêts, sinon que chaque année ils sont plusieurs fois travaillés au pied. Ces arbres avoient alors huit ans ; leur forme étoit très-irrégulière, il est vrai, mais ils étoient chargés de fruits, & n’avoient que peu ou presque point de branches chiffonnes. Leur végétation, comparée à celle des arbres plantés à la même époque, & certainement cultivés d’après les meilleurs principes, ne pouvoit pas se comparer. On voyoit l’écorce des premiers lisse, luisante ; les branches grosses, bien nourries, & tout l’extérieur d’une belle végétation. Le propriétaire m’assura même que ces arbres se dépouilloient de leurs feuilles beaucoup