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l’éloignement du soleil ? Le buis a encore un avantage sur presque tous les autres arbres verts ; l’ensemble de ses feuilles est d’un vert moins obscur, & sourit plus agréablement à la vue.

On devroit bannir des jardins potagers & de ceux des fleuristes, les bordures en buis. Elles servent de repaire à une multitude inombrable d’insectes qui s’y retirent pendant le jour pour fuir l’éclat trop vif du soleil, & y chercher une fraîcheur nécessaire à leur existance ; mais combien, dans la nuit, ces insectes se dédommagent-ils de leur retraite forcée pendant le jour ! Ils en sortent pressés par la faim, attirés par la fraîcheur de la rosée & se jettent sur toutes les plantes encore tendres de leur voisinage.

III. Du buis considéré relativement aux forêts & au commerce. On connoît peu de véritables forêts de buis en France. Une des plus considérables, si on peut l’appeler ainsi, c’est celle de Lugny dans le Mâconois ; après elles viennent celles des Monts-Jura du côté de saint-Claude ; & en remontant leur chaîne dans la Franche-Comté, celles des montagnes du Bugey, du Dauphiné, de la Haute-Provence, la chaîne de celles qui traversent le Languedoc de l’est à l’ouest, enfin dans les Pyrénées, &c. mais aucune n’est une forêt proprement dite, le buis s’y trouve mêlé avec beaucoup d’autres arbres.

La cause du dépérissement des buis vient de l’emploi qu’on en fait. Lorsqu’on a coupé l’arbre par le pied, il reste le broussin, c’est-à-dire sa racine. Elle pousse des branches qui sont à leur tour coupées dès qu’elles ont quelques pieds de longueur ; on en fait des fagots. Il résulte que ces branches n’ont point encore porté ni fleurs ni graines, les seuls moyens que la nature emploie à la réproduction du buis dans ces lieux élévés.

Le second vice vient de ce qu’on arrache les broussins malgré les défenses. L’intérêt particulier est plus actif, plus vigilant que la loi. Il résulte de-là qu’à deux lieux à la ronde de la ville de Saint-Claude, on ne trouve plus une seule cépée, tandis qu’autrefois le buis croîssoit jusqu’aux portes de la Ville.

La consommation du buis est prodigieuse à Saint-Claude & aux environs. Chaque paysan emploie toute la saison de l’hiver à tourner, & chacun a son genre, dont il ne s’écarte pas. L’un fait uniquement des grains de chapelet ; l’autre des sifflets ; celui-ci des boutons ; celui-là des canelles pour tirer le vin, de cuillers, des fourchettes, des tabatières, des peignes, des poivrières, &c. &c. C’est la raison pour laquelle tous ces objets sont à si grand marché ; & leur débit fait subsister ces habitans, qui n’ont pour vivre que le produit de leur bétail, un peu de seigle & des pommes de terre.

Le broussin est fort recherché, sur-tout pour les tabatières, parce qu’il est bien marbré & veiné. Voici comment la nature parvient à former cette marbrure. Par les coupes réitérées, les fibres des souches se croisent dans tous les sens, ce qui fait que ce bois n’a plus de fil. Il se fend par cette raison bien plus difficilement, & acquiert beaucoup plus de dureté. Or, l’avantage du