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des villes où la consommation est plus grande ; là, chacun se pourvoit de la quantité de beurre frais qui lui convient pour sa provision ; l’acheteur distingue celui qui a les qualités que lui donne la méthode du pays de Bray, indiquée plus haut, d’avec celui qui a été fait suivant l’usage du pays de Caux ; il met le prix à l’un, & méprise l’autre. Il faut saler le beurre le plutôt qu’il est possible, tout retardement lui est préjudiciable ; on le lave plusieurs fois, jusqu’à ce que l’eau ne paroisse plus laiteuse ; on doit se servir de sel gris, tel que celui que l’on distribue dans les gabelles, & non de sel blanc, qui a la réputation de faire de mauvaise salaison en tout genre. On fait sécher le sel gris au four, & on le broie. Le beurre lavé étant étendu, on répand dessus une once de sel sec & broyé, par chaque livre de beurre ; on le pétrit ensuite jusqu’à ce que le sel & le beurre soient bien incorporés. »

» On met le beurre salé dans des vases d’une sorte de terre que l’on nomme grès ; il y en a de différentes formes ; on les échaude à l’eau bouillante pour en détacher l’ancien beurre qui s’incorpore dans la terre, & on les écure ensuite, comme on a dit ci-devant de tous les ustensiles qui touchent le beurre. Ces vases contiennent vingt à trente livres ; on foule le beurre salé dans ces pots, & on les remplit à deux pouces près du bord ; on le laisse reposer ensuite sept à huit jours. Pendant ce tems le beurre salé se détache du pot, parce qu’il diminue de volume, & laisse entre lui & le pot un intervalle d’environ une ligne, dans lequel l’air pourroit s’introduire & gâter le beurre si on le laissoit en cet état. »

» Pour prévenir cet accident, on prépare une saumure de sel & d’eau commune ; il faut qu’elle soit assez forte en sel pour qu’un œuf y surnage ; il y auroit du danger à la faire trop foible. Cette saumure étant reposée, on la tire au clair, & on la verse sur le beurre salé, de manière qu’elle s’introduise dans l’intervalle qui est entre le pot & le beurre salé & en fasse sortir l’air à mesure qu’elle y entre ; on l’excite à y entrer, en la versant peu à peu, & en remuant doucement le pot ; on augmente la quantité de la saumure, jusqu’à ce que le beurre en soit couvert d’un pouce. Alors l’air ne peut l’approcher d’aucun côté, à moins que le beurre ne flotte dans la saumure ; en ce cas, il faut en charger la masse, en sorte qu’elle rentre dans la saumure pour prévenir la corruption de toutes les parties que l’air auroit approchées. »

» Tels sont les usages observés pour saler le beurre que nous conservons à Rouen pendant toute l’année ; on en use dans les maisons les mieux tenues, où il est employé avec succès à préparer les mets que l’on sert sur les tables les plus délicates. Tout beurre qui aura été salé de cette manière, étant conservé dans des pots de grès, avec une suffisante quantité de saumure, aura les mêmes avantages que celui du pays de Bray dont nous parlons, parce que la propriété de le conserver vient principalement de ce que le beurre n’est pas altéré par les acides du lait aigri, & parce que