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dix sols la livre dans les unes, & treize sols dans les autres ; que ces provinces sont les plus pauvres du royaume, souvent malgré la fertilité de leur sol, parce que l’impôt les écrase, & sur-tout sa perception. Or, dans ces provinces, il faut que le cultivateur songe à se procurer du sel pour lui, avant de penser à son bétail.

Les circonstances m’ont encore mis dans le cas de remarquer, que les épizooties étoient plus fréquentes dans les provinces où l’usage du sel étoit inconnu, que dans les autres. Si on me cite pour preuve du contraire, la dernière épizootie du Languedoc, quoiqu’un pays d’état, & où le sel n’est pas fort cher ; je répondrai qu’elle y est venue par communication, mais que le foyer, ou le principe, n’étoit pas dans cette province.

Je conviens avec M. l’abbé Carlier, que le sel dessèche, allume la soif du bétail, l’excite à boire immodérément ; mais c’est l’excès, & non l’usage modéré & soumis aux lieux & aux circonstances. Il vaudroit autant dire que l’usage du pain est dangereux, & le prouver par cet adage de l’école de Salerne : Omnis indigestio mala, panis autem pessima. La trop grande quantité de pain peut occasionner la plus forte de toutes les indigestions : donc il ne faut pas manger de pain. Il en est du raisonnement sur le sel, comme de celui sur le pain.

On lit dans les papiers anglois de l’année 1764, une observation qui vient parfaitement à notre sujet. Un particulier d’Amérique avoit une quantité de foin gâté par la pluie, & presque pourri dans les champs. Il eut la précaution, lorsqu’il le renferma dans son état de siccité convenable, de faire répandre du sel sur la première couche, dès qu’elle eut l’épaisseur de six pouces, & il fit ajouter alternativement des couches de fourrage & de sel en petite quantité, jusqu’à ce que le tout fût empilé. Lorsque ce particulier vint à le donner au bétail, il se jeta dessus avec une avidité extraordinaire, & il le préféra même à celui où il n’y avoit point de sel, quoiqu’il fût excellent. Cette expérience mérite d’être répétée, & il arrive souvent en France, que les pluies font perdre une grande quantité de fourrage, qu’il seroit possible de faire consommer par cette méthode.


Section II.

De la manière de donner le sel au Bétail.


Chacun a sa méthode. En voici quelques-unes décrites par M. Hastfer, & d’autres en usage dans nos provinces ; & il ne parle que des brebis ; ce qui peut s’appliquer aux bœufs, aux vaches, aux chèvres, &c. On donne le sel purement & simplement à lécher, ou dans des médicamens qui produisent le même effet ; & tout cela ensemble est compris sous le nom de saler les brebis. Quant au premier, c’est-à-dire, au sel purement & simplement, il y a plusieurs manières.

1o. Au milieu de l’étable on plante un poteau qui est creusé en-haut, & on y met un gros morceau de sel, afin que les brebis le puissent lécher. On couvre le creux avec un couvercle, lorsqu’on ne veut pas