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économiser la valeur d’un gage, & on perd le triple & le quatruple. Je ne finirois pas, si je rapportois toutes les fripponneries que je connois ; mais en voici encore une qu’on ne doit pas passer sous silence. Si une de leurs brebis met bas un petit qui ait souffert pendant l’accouchement, ou qui ne laisse pas espérer qu’il prospèrera dans la suite, ils l’échangent contre un agneau mâle du maître, & ils sont accoutumés à faire prendre le change aux mères, & à leur faire nourrir ces petits. Pour couvrir leurs larcins, lorsqu’on s’apperçoit qu’ils n’ont presque plus de mâles, ils disent gravement avoir des secrets coûteux, capables de produire cette heureuse multiplicité de mâles.

Si au contraire le berger n’a aucune part dans le troupeau, il sera négligent, peu soigneux, parce qu’il est assuré de n’avoir rien au-delà de la nourriture & de ses gages. Je conseille donc aux propriétaires de fixer une gratification très-forte, au lieu de gages, & cette gratification sera divisée en plusieurs parts. 1o. Si la laine du dos est de la même qualité & netteté que celle qu’on lui présentera en le prenant à son service, il aura telle part de la gratification ; il en sera ainsi pour celle du ventre & des cuisses. La seconde part sera pour le nombre de bêtes qui surviendront & qui vivront jusqu’à l’âge de six mois. C’est à peu près le tems de marquer celles que l’on veut garder ou vendre au boucher. La troisième part servira à payer la conservation du troupeau, c’est-à-dire, qu’autant qu’il mourra d’individus, autant on diminuera par tête sur la gratification ; par ce moyen le berger a le plus grand intérêt à la prospérité du troupeau. Le seul appât du gain conduit cette classe d’hommes. Ce ne sera donc pas assez de promettre une gratification du double des gages ; celle du triple suffira à peine, & le propriétaire y gagnera encore beaucoup. Je sais fort bien que si on propose ce marché à un berger frippon, il se gardera bien de l’accepter, & le berger honnête ne s’y refusera pas. Ce plan de traitement servira au maître de pierre de touche pour connoître le bon berger. La justice cependant exige que les cas d’épizooties soient prévus, quoiqu’il ne tienne qu’au berger d’empêcher la communication des bêtes saines & des bêtes infectées. (Voyez Épizootie)

Les qualités qui constituent un bon berger, sont la fidélité, la vigilance & la science. Pour qu’il soit fidèle, ne le mettez pas dans le cas de vous tromper, en lui laissant la liberté de vendre les moutons, les brebis, les agneaux, ni d’en acheter. Ne lui permettez jamais de tuer les bêtes malades, ou d’enterrer les mortes qu’en votre présence. Ne lui donnez point de gages, mais des gratifications, ainsi qu’il a été dit, & des gratifications très-fortes. Pour entretenir sa vigilance, surveillez en tout & partout, sans qu’il s’en apperçoive ; vous saurez alors à quoi vous en tenir. S’il parvient à connoître que vous êtes son ombre, montrez-vous souvent à découvert, & il croira vous avoir toujours après lui. Parcourez la bergerie ; voyez si la litière est souvent renouvelée ;