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bêtes à laine dans les champs, & qui en prend soin dans l’étable ; il ne faut pas confondre le mot berger avec celui de pâtre ; ils ont deux significations différentes. Le pâtre est pour ainsi dire le valet du berger, & n’est pas chargé du traitement des animaux malades. Il se trouve une certaine distance entre les rois bergers de l’ancien tems, & les bergers de nos jours ; la muse de nos poëtes ne s’égayera plus à chanter leurs amours. Nos préjugés barbares ont enlevé cette considération qui relève l’homme à ses propres yeux & aux yeux des autres, & sans laquelle il n’y a plus d’énergie dans la façon de penser & dans la conduite. À la liberté près de quitter son maître quand le terme est arrivé, sa condition diffère bien peu de celle de l’esclave, & le rend presqu’aussi brute que les animaux confiés à ses soins ! Qu’attendre de cette espèce d’hommes ?

Virgile conseilloit d’accorder des distinctions aux bergers de son tems, & l’espagnol, à cet égard, plus sage que les autres peuples, a senti l’importance de relever cette profession ; il a méprisé tous les arts, mais il a respecté celui de berger au point qu’on retrouve encore aujourd’hui les vestiges de cette vie pastorale, qui, dans les tems reculés de notre âge, rendoient heureux ceux qui s’y livroient. Les arts de luxe ont des écoles ouvertes ; on y décerne des prix, des encouragemens ; & celui d’où dépend la matière première d’une des principales branches du commerce, non-seulement n’a aucun encouragement, mais encore il est méprisé. Continuons à rendre tributaires les autres nations, en leur faisant acheter nos frivolités ; mais empruntons d’elles leurs loix & leurs arts utiles : l’échange sera tout en notre faveur.

Les possesseurs des bergeries, en Espagne, forment depuis un tems immémorial, une société particulière, dont les chefs s’assemblent à certaines époques dans les lieux indiqués. Ils règlent dans ces assemblées la marche des troupeaux, font des règlemens nouveaux, ou changent les anciens, tant pour ce qui regarde les bergers conducteurs, que pour ce qui peut intéresser la conservation du bétail.

L’usage de ces assemblées pastorales subsistoit du tems des goths. Euric IX, un de leurs rois, donna en 466 une loi, non pour l’établir, mais pour la maintenir. Pour que ces assemblées des pasteurs eussent plus de consistance, les rois d’Espagne leur donnèrent le titre de conseil, & voulurent qu’ils fussent tenus en leur nom par un de leurs officiers de justice, qu’ils chargèrent spécialement de veiller à l’exécution des loix que le conseil feroit ou auroit faites auparavant. Ce sage & très-politique établissement acquit une si grande considération au corps des bergers, qu’une reine de Portugal ne dédaigna pas, en 1499, de lui envoyer un ambassadeur pour demander que les troupeaux espagnols fussent envoyés pour paître sur les terres de ses sujets, leur promettant tout aide, secours & protection. Cette proposition fut acceptée, & les troupeaux espagnols ont toujours été, depuis cette époque, paître sur les terres des