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elle n’est que trop vraie & trop démontrée dans la pratique. Les anciens représentoient l’abondance sous l’allégorie d’une femme couronnée d’une guirlande de fleurs, versant d’une corne, tenue de la main droite, toutes sortes de fruits, & répandant à terre, de la main gauche, des grains qui se détachoient d’un faisceau d’épis. Cet emblême étoit vrai du tems des romains ; & sous le bon & vertueux Trajan, une double corne fut ajoutée à la main droite de l’Abondance. Ne sommes-nous pas en droit d’espérer de voir, sous Louis XVI, reparoître ce double attribut ? L’abondance a dû toujours être le but des travaux du cultivateur, l’espoir consolant du fermier, & le terme des vœux du propriétaire : cependant la majeure partie des richesses réelles que la culture produit, étoit, il y a quelques années, une richesse fantastique ; le grain entassé vieillissoit, se gâtoit & se consumoit souvent en pure perte dans les greniers. Les défenses les plus rigoureuses en proscrivoient la sortie d’une province à l’autre, même dans l’intérieur du royaume ; & la Bourgogne, par exemple, regorgeoit de grains, tandis qu’on mouroit de faim dans le Beaujollois, la Provence & le Languedoc. À ces tems de calamités succédèrent des jours plus heureux, & la seule & la vraie richesse nationale augmenta d’un tiers. Il fut permis de faire circuler le produit des récoltes abondantes, non-seulement d’une province à une autre, mais encore de l’exporter chez l’étranger. On vit alors une émulation, jusqu’à ce jour inconnue en France, pour mieux cultiver, pour mettre en valeur des terres depuis long-tems abandonnées, & défricher des terrains qui furent étonnés de sentir leur surface chargée de sillons. Depuis cette époque heureuse, la misère a été bannie de la chaumière du cultivateur, & sa chaumière a été convertie en maison ; le fermier est devenu aisé, & le propriétaire a presque doublé le prix de ses anciens baux. Enfin, grâce à la bienfaisance d’un Ministre qui a sacrifié toute sa vie à secourir & protéger le pauvre cultivateur contre les vexations du riche, toutes les entraves, tous les droits quelconques qui, sous cent dénominations différentes, gênoient le commerce & la libre circulation du bled, ont été détruits & supprimés : en un mot, le bled est aujourd’hui la seule marchandise, la seule branche de commerce qui soit parfaitement libre dans l’intérieur du Royaume. Voilà déjà un grand pas fait vers la source & le principe de la véritable richesse. Il en reste encore un à faire, c’est celui qui procurera la liberté d’exporter chez l’étranger, & qui redonnera une liberté plénière : alors les récoltes les plus copieuses & les plus abondantes ne seront plus un fléau & une calamité publique, parce qu’il est impossible que le Royaume consomme chaque année plus de la moitié de ses produits en bleds. Si le grain ne se soutient pas à un certain prix, le propriétaire doit s’attendre à voir ses fermes diminuer, & revenir peu-à-peu aux taux anciens ; & celui qui aura, sans savoir pourquoi, sans avoir examiné la question, crié le plus fortement contre la libre ex-