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philosophe et femme de sciences

seraient-elles exclues de la chasse à courre à la vérité ? l'arène n’est-elle pas ouverte devant tous ? Que chacun s’y élance de toutes ses forces ; au plus fort, au plus agile, au plus heureux appartiendra la couronne.

Nous avons vu que la philosophie est la synthèse de la science, et comme telle, elle progresse nécessairement avec celle-ci, se transforme comme elle et par elle. Mais jusqu’à présent l’on peut dire qu’elle n’a point existé, qu’elle a été impossible. La philosophie, en un mot, n’est pas faite, elle ne pouvait l’être avant cet heureux développement des sciences mathématiques et expérimentales dont notre siècle a été le témoin. Voilà trente ans seulement qu’elle commence à être possible.

On peut dire que Galilée, en restituant au soleil sa place et son titre de centre de notre système, Kepler et Newton en dérobant aux cieux la connaissance de leurs lois, Herschell en les creusant à l’infini, Cuvier en ressuscitant les créations disparues, en ont jeté les premiers fondements. Ils ont porté les plus rudes coups aux folles prétentions de l’orgueil de l’homme, qui jusqu’alors s’était défié lui-même jusqu’à se considérer comme le but unique et final de la création, et ont rendu à chaque sorte d’êtres la place qui lui appartient devant Dieu.

Si la philosophie n’est pas faite, nous savons donc seulement qu’elle est à faire, nous le savons par les essais de l’antiquité, par les tentatives plus ou moins heureuses et plus ou moins renouvelées des Grecs du monde moderne. Mais pourquoi ferait-on de la philosophie le domaine exclusif de l’homme ? Je ne saurais trouver à cela de raison. Nous serait-il interdit d’aimer la science, le vrai, la sagesse, le bien ? Et comment donc aimer ce que l’on nous défendrait de connaître ? Reste à savoir si la philosophie peut être pour les femmes ce qu’elle est pour les hommes. Je crois qu’ici encore il doit y avoir analogie et non pas identité, comme je le disais plus haut à propos de l’art oratoire. La philosophie doit garder chez nous un caractère spécial, un caractère féminin. Notre philosophie doit être indépendante, elle peut avoir son développement particulier ; mais elle ne peut, je crois, qu’être essentiellement affirmative et surtout pratique. Nous sommes beaucoup plus faites pour l’action qu’on ne le pense ; le doute nous tue ; nous ne pouvons vivre avec lui ; nous avons une ardente impatience d’affirmer, de conclure, d’atteindre enfin à la sérénité de la certitude. Aussi, le plus souvent, je l’avoue, nous concluons trop vite.