Page:Royer - Introduction à la philosophie des femmes.pdf/5

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
philosophe et femme de sciences

Je crois donc que mon titre est convenable à tous égards, puisque d’une part il exprime ma pensée, que de l’autre il est conforme aux étymologies. Cette alliance de mots constitue un néologisme, je le veux : mais ce néologisme est dans le génie de la langue ; rapprocher des termes connus et leur donner un air de jeunesse, un cachet original est ce que tous nos orateurs, tous nos écrivains de goût cherchent à faire. Je suis loin de me repentir d’avoir suivi leur exemple. Ma pensée est nouvelle, je l’exprime par un terme nouveau. Puissé-je en trouver toujours, en cas de besoin, d’aussi heureux et d’aussi justes !

Vous le voyez, mesdames, dès qu’on parle science, on est fatalement, quoi qu’on en ait, entraîné à parler grec. Cette discussion sur deux mots vous montre combien le langage philosophique diffère du langage familier. C’est pourquoi, sur les matières dont ce cours doit traiter, il n’existe pour ainsi dire pas d’ouvrages complets et convenables, qui soient, sinon écrits spécialement pour des femmes, du moins accessibles à leur intelligence, à leurs habitudes de comprendre et de s’exprimer. J’ai l’intention de combler un jour cette lacune dans la littérature didactique, comme j’essaie de la replir ici dans l’enseignement oral.

Les deux moitiés de l’humanité, par suite d’une différence trop radicale dans l’éducation, parlent deux dialectes différents, au point de ne pouvoir que difficilement s’entendre sur certains sujets et sur les sujets mêmes les plus importants. Il y a plus de dix mille mots dans la langue que les femmes n’ont jamais entendu prononcer, dont elles ignorent le sens, et cependant il suffirait d’un petit dictionnaire étymologique, composé de deux ou trois cents racines latines ou grecques, pour nous mettre à même de prendre part à tous les conversations et d’aborder toutes les lectures. Moi-même, durant un temps, j’ai été fort effrayée de la science, je lui ai trouvé cet air maussade et ennuyeux dont je vous ai parlé ; et sous cette impression je me persuadais facilement qu’elle m’était inutile. Il a suffi de quelques pages convenablement écrites, de quelques heureuses explications de personnes sagement instruites, qui vinrent comme des éclairs illuminer cette nuit de mon esprit, pour que je m'aperçusse que les savants, en effet, ont entouré le champ de la science d’une haie d’épines, mais qu’au delà il est plein de fleurs. Dès lors, j’ai résolu de faire une trouée dans cette