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encore, priez toujours : quand vous avez ainsi prié, n’avez-vous pas senti comme une présence invisible ? C’était l’ange de votre enfant qui venait vous remercier pour lui, vous baiser au front, et soulever de ses ailes le fardeau qui vous écrasait.

« À l’extrémité du jardin, vous entrez dans les Chemins Perdus du parc ; c’est la nature canadienne dans toute sa sauvagerie ; rochers, coteaux, vallons, pentes abruptes, déclivités, précipices. Toujours on entend le murmure de la rivière qui traverse le parc, formant des rapides, des chutes, des cascatelles, dont la blanche robe déroule ses plis gracieux, ses dentelles d’écume, qu’on voit briller à travers le feuillage.

« Les Chemins Perdus, entretenus avec soin, sillonnent le parc en tous sens, montent, descendent, se courbent, se croisent, passent devant des bancs rustiques, reviennent sur leurs pas, s’écartent pour vous ménager des surprises : il faut près d’une heure pour les parcourir. Ici, vous gravissez sur un plateau, d’où l’on découvre, à travers une échappée des arbres, un pan du fleuve et l’île aux Coudres, qui paraît à vos pieds, semblable à une table ronde, avec ses assiettes blanches rangées tout autour : ce sont les maisons proprettes de l’île bâties sur le rivage. Vous êtes sur l’Observatoire : à vos pieds s’ouvre une large crevasse, où la rivière se précipite en cascade. Descendez par un étroit et tortueux sentier dans ce gouffre ; jetez, au pied des chutes, la mouche de votre ligne, et vous prendrez de belles truites.

« Une foule de noms sont gravés sur les arbres ; je lis les initiales de sir Étienne et de lady Taché, avec la date de 1830.

« Plus loin, un vallon planté d’arbres fruitiers, où la marguerite et la violette sauvage s’étalent au soleil et se mirent dans l’onde de la rivière qui voudrait s’arrêter ici pour écouter chanter les oiseaux et fredonner les cigales ; cette plaine, dis-je, où il fait si bon rêver, un livre à la main, c’est le Vallon des Champs Élysées. C’est le seul endroit, dans cette partie du pays, où j’aie entendu le chant des cigales.

« Allons maintenant reposer, sur la galerie de la Citadelle, nos jambes un peu fatiguées d’avoir monté et descendu tant de côtes et de gradins. On y arrive par deux escaliers. Une exclamation de surprise et d’admiration s’échappe involontairement de vos lèvres en apercevant le sublime paysage qui s’étend à perte de vue devant vous : l’immense nappe du Saint-Laurent, ses îles et, au loin, la ligne bleue des Alléganys[1] ».

  1. La famille de Sales Laterrière, p 47.