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de l’année ; mais à peine reste-t-il maintenant cinq érables, derniers débris du magnifique bocage qui faisait la gloire de ce paysage pittoresque. Sur les trente-cinq qui semblaient si vivaces, il y a quarante ans, trente, comme marqués du sceau de la fatalité, ont succombé un à un, d’année en année. Ces arbres périssant par étapes sous l’action destructive du temps, comme les dernières années du possesseur actuel de ce domaine, semblent présager que sa vie, attachée à leur existence, s’éteindra avec le dernier vétéran du bocage. Lorsque sera consumée la dernière bûche qui aura réchauffé les membres refroidis du vieillard, ses cendres se mêleront à celles de l’arbre qu’il aura brûlé ; sinistre et lugubre avertissement, semblable à celui du prêtre catholique à l’entrée du carême : Memento, homo, quia pulvis es, et in pulverem reverteris.

« Le manoir seigneurial, situé entre le fleuve Saint-Laurent et le promontoire, n’en était séparé que par une vaste cour, le chemin du roi et le bocage. C’était une bâtisse à un seul étage, à comble raide, longue de cent pieds, flanquée de deux ailes de quinze pieds avançant sur la cour principale. Un fournil, attenant du côté du nord-est à la cuisine, servait aussi de buanderie. Un petit pavillon, contigu à un grand salon au sud-ouest, donnait quelque régularité à ce manoir d’ancienne construction canadienne.

« Deux autres pavillons au sud-est servaient, l’un de laiterie, et l’autre d’une seconde buanderie, recouvrant un puits qui communiquait par un long dalot à la cuisine du logis principal. Des remises, granges et étables, cinq petits pavillons dont trois dans le bocage, un jardin potager au sud-ouest du manoir, deux vergers, l’un au nord et l’autre au nord-est, peuvent donner une idée de cette résidence d’un ancien seigneur canadien, que les habitants appelaient le village d’Haberville.

« De quelque côté qu’un spectateur assis sur la cime du cap portât ses regards, il n’avait qu’à se louer d’avoir choisi ce poste élevé, pour peu qu’il aimât les belles scènes qu’offre la nature sur les bords du Saint-Laurent. S’il baissait la vue, le petit village, d’une éclatante blancheur, semblait surgir tout à coup des vertes prairies qui s’étendaient jusqu’aux rives du fleuve. S’il l’élevait au contraire, un panorama grandiose se déroulait à ses yeux étonnés : c’était le roi des fleuves, déjà large de sept lieues en cet endroit, et ne rencon-