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patriarcales, où maîtres et serviteurs se reconnaissant égaux devant le Souverain Seigneur, rompaient le pain et buvaient le vin en rendant grâce à celui qui, dans sa munificente bonté, leur accordait le même bienfait.

« Le maître, M. Benjamin Paquet, prenait son siège à la tête de la table, puis venait ensuite, à sa droite, M. Étienne-Théodore, puis les serviteurs indistinctement. La plus pétillante gaîté régnait toujours à ces agapes toutes familiales. Chacun avait son grain de sel et son mot d’esprit qui épiçait la conversation et assaisonnait les gais propos des jeunes… Les appétits étaient robustes comme les gars qui se lestaient l’estomac « jusqu’à la barre du cou », comme disait l’un des convives, non le moins intéressé à trouver l’expression juste. Mais l’ouvrage marchait de pair. Si l’on mangeait abondamment, l’on travaillait fort. C’est à cette table (que tous les gens de la paroisse connaissaient pour s’y être assis sur l’invitation du maître, lorsque sonnait l’heure du repas et que l’on n’avait pas fini les achats) ; c’est à cette table, disons-nous, que l’on mangeait du bon pain de ménage fait de blé seiglé et cuit au four, après avoir été pétri par des mains expertes.

« Pour ma part, lorsque je passais mes vacances au manoir avec mon compagnon aimé, Théodore, qui fut plus tard l’honorable Étienne-Théodore Paquet, je le préférais de beaucoup au pain du boulanger. Et la soupe, dont on sentait l’arome sur le seuil de la maison ! Nous nous rappelons avec plaisir tous ces souvenirs d’antan : les scènes champêtres qui étaient de tous les jours : les grands arbres, en avant du manoir, dont plusieurs existent encore ; les deux canons que nous faisions parler avec enthousiasme les jours de grandes fêtes ; les allées semées de graviers ; le jardin de fleurs ratissé avec le soin le plus scrupuleux, et les fleurs rares dont Madame Paquet était si fière, et dont elle ornait nos boutonnières au jour du départ.

« De tout ce monde, travaillant, bourdonnant comme un rucher d’abeilles, plein de gaîté, d’espérance de projets, il n’en reste plus un seul. Tous, ils sont disparus les uns après les autres. Il ne nous reste plus que leur souvenir toujours cher et les objets qu’ils ont aimés. Sunt lacrymae rerum. »