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JEAN RIVARD

dans son roman, que Gérin-Lajoie s’y est dédoublé, et représenté tout ensemble sous les traits de Jean Rivard, et ceux de Gustave Charmenil. Et comme Jean Rivard fut toute sa vie ce qu’aurait voulu être Gérin-Lajoie, Gustave Charmenil fut ce que devint vraiment à vingt ans notre auteur, et ce qu’il n’aurait jamais voulu devenir. Étudiant pauvre, besogneux, courant à Montréal les bureaux, ce qu’expérimenta plus d’une fois Gérin-Lajoie lui-même, à savoir « qu’il n’y a pas de travail plus pénible pour un avocat, que celui de chercher du travail. »[1] Timide, peu capable de forcer la destinée, inhabile à faire valoir aux yeux du monde toutes les ressources de son talent et de sa volonté, passant d’une mésaventure à une autre, voilà ce que fut Gérin-Lajoie lui-même, et ce que recommença pour lui Gustave Charmenil. Et pour que personne ne doutât de cette identification des personnages, Gérin-Lajoie prêta à l’étudiant ce nom de Gustave Charmenil que, dans un projet d’autobiographie que l’on a retrouvé dans ses cahiers, il s’était donné à lui-même.[2]

Si, d’ailleurs, Gérin-Lajoie a tant insisté sur ce rapprochement, et sur les déceptions et les déboires de Gustave Charmenil, ce fut pour mieux marquer l’erreur de tant de jeunes gens instruits qui dédaignent la carrière de l’agriculteur, qui s’obstinent à rechercher une profession libérale, et s’en vont traîner sur le pavé des grandes villes les restes de leurs illusions. Du temps de Gérin-Lajoie, comme encore aujourd’hui, on se fût étonné qu’un jeune homme qui avait fait des études classiques, ne se fît pas

  1. Jean Rivard, I, 73. — Lettre de Gustave Charmenil à Jean Rivard.
  2. Ce projet d’autobiographie se trouve dans un cahier qui porte la date de 1862, de l’année même où Gérin-Lajoie publiait dans les Soirées Canadiennes la première partie de Jean Rivard.

    Gérin-Lajoie était sous l’impression que sa famille comptait des Charmenil parmi ses ancêtres maternels. Par suite d’une mauvaise lecture du recensement de 1681, on avait cru que le nom de la femme de Jean Gélinas, ancêtre maternel d’Antoine Gérin-Lajoie, était Françoise Charmenil. Or, des actes notariés récemment découverts par M. F.-L. Desaulniers ont permis de rectifier cette leçon. L’acte de mariage de Jean Gélinas, daté du 2 octobre 1667, donne, comme nom de sa femme, « Françoise Charles Desmeni. » Voir Saint-Guillaume d’Upton, p. 128, par F.-L. Desaulniers.