l’ouvrier de la première heure, le colon instruit, « l’homme carré » que Pierre Gagnon avait si pittoresquement défini, capable de la tête autant que des bras,[1] devint tout naturellement le conseiller, l’ami, le chef des nouveaux défricheurs. Et il pouvait écrire un jour à son ami, Gustave Charmenil : « Outre mes travaux de défrichement, qui vont toujours leur train, j’ai à diriger en quelque sorte l’établissement de tout le village. Ne sois pas surpris, mon cher Gustave, si tu entends dire un jour que ton ami Jean Rivard est devenu un fondateur de ville. »[2]
Jean Rivard devait, en effet, fonder une ville, qui lui prit beaucoup de son activité, et jusqu’à son nom. C’est lui qui en fit le plan, qui en traça sur la carte les rues, et qui marqua la place où l’on élèverait plus tard les principaux édifices publics.[3] C’est lui, surtout, qui organisa dans ce centre nouveau la vie sociale, et qui lui communiqua tout l’esprit dont il était animé. Juge de paix, maire de Rivardville, avant d’être député au Parlement, il n’usa jamais de son influence que pour établir sur la base solide des plus fortes vertus civiques et morales la fortune de son village. Sans doute, Jean Rivard fut un député médiocre, et il ne sut jamais assez lui-même ce qu’il était allé faire à Québec ; mais, en revanche, dans la sphère plus humble de la vie municipale et régionale, il fut le citoyen le plus entreprenant, et l’instigateur le plus hardi de tous les progrès. Les questions scolaires, aussi bien que les questions d’économie rurale et domestique, étaient par lui sagement résolues, et les oppositions systématiques, mesquines et jalouses, que lui suscita parfois Gendreau-le-Plaideux, ne purent jamais entamer son autorité.
Aussi bien, cette autorité reposait-elle sur un grand fonds de vertus et sur les mérites personnels les plus incontestés.