des affections, on supporte mal le silence et le vide profond de l’isolement. Jean Rivard devait regretter parfois son village et la maison paternelle. Il éprouva dans les bois de Bristol quelque chose des intimes chagrins que promena René dans nos forêts d’Amérique. « La chute des feuilles, le départ des oiseaux, les vents sombres de la fin de novembre furent la cause de ses premières heures de mélancolie. Puis, lorsque plus tard un ciel gris enveloppa la forêt comme d’un vêtement de deuil, et qu’un vent du nord ou du nord-est, soufflant à travers les branches, vint répandre dans l’atmosphère sa froidure glaciale, une tristesse insurmontable s’emparait parfois de son âme, sa solitude lui semblait un exil, sa cabane un tombeau. »[1]
Cependant jamais ces accès de tristesse n’abattirent tout à fait Jean Rivard. Il s’empressait plutôt de secouer sa mélancolie, de sécher quelques larmes que le souvenir de Grandpré faisait parfois monter à ses yeux. Le travail est le meilleur remède contre l’ennui : et fort heureusement, il y avait en Jean Rivard, à côté de l’étudiant frais émoulu, à côté du jeune rêveur, et du romantique sensible, il y avait le colon réaliste, l’homme d’action.
Au collège où il avait étudié, Jean Rivard entendait souvent le directeur répéter à ses élèves la classique maxime, que le bon Lhomond avait convertie en exemple pour sa grammaire latine : labor omnia vincit. Cette devise, il la voulut sienne, et c’est l’une des choses les plus précieuses que Jean Rivard rapporta de son cours d’étude. Il avait même parfois une singulière façon de traduire en français cet axiome latin. L’un de ses frères qui n’approuvait guère son projet et lui demandait un jour avec quoi il prétendait réaliser ses rêves de fortune : « Avec cela ! » dit laconiquement Jean Rivard, en mon-
- ↑ Jean Rivard, I, 53.