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ROMANCIERS DE CHEZ NOUS

qu’il légua à son fils aîné, c’est que sans doute Gérin-Lajoie, que son patriotisme faisait dévot au patron des Canadiens français, a voulu marquer comment son personnage, né de Jean-Baptiste Rivard, apportait de son berceau même le culte traditionnel et toutes les vertus de sa race.

C’est dans le canton de Bristol, au cœur des Bois-Francs, que Jean Rivard s’en ira abattre la forêt, et qu’il fondera la paroisse si active de Rivardville. Serait-il téméraire d’affirmer que Rivardville, c’est ce Drummondville si prospère que Gérin-Lajoie visitait en 1862, où il recevait l’hospitalité de cet abbé Jean-Octave Prince, qui fut l’un de ses plus chers compagnons d’étude, et qu’il a fait revivre dans son roman sous le nom de l’abbé Octave Doucet, premier missionnaire et curé de Rivardville ? Nous savons, par une lettre très enthousiaste que Gérin-Lajoie écrivit au retour de ce voyage, qu’il fut ravi par toutes les promesses d’avenir qu’offrait ce pays de colonisation, et qu’il aurait voulu voir deux de ses frères s’y établir. Ces deux frères, Gérin-Lajoie les a donnés à Jean Rivard, et tous deux sont allés, dans l’imagination de l’auteur, faire fortune à Rivardville.[1]

Voilà bien des raisons de confondre Antoine Gérin-Lajoie et Jean Rivard, et de penser que l’un a voulu s’identifier avec l’autre, ou mettre dans la destinée de l’autre le meilleur de sa jeunesse et de ses espérances. Gérin-Lajoie se retrouve encore et se prolonge en Gustave Charmenil, le jeune étudiant qui promène à travers Montréal la nostalgie de son âme toujours désabusée. Et, sans doute, Gustave Charmenil représente plus exactement que Jean Rivard le personnage de l’auteur, quand celui-ci avait vingt ans. Mais Gérin-Lajoie n’en sera que plus à l’aise pour donner à Jean Rivard, à celui qui fut ce que lui-même aurait voulu être et qu’il n’a jamais été, toutes les vertus, toutes les qualités qu’il pouvait concevoir, et qu’il mit, sans retour d’amour-propre, et sans

  1. Jean Rivard, II, 54.