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ROMANCIERS DE CHEZ NOUS

suppose que vous avez lu l’histoire de Napoléon, et vous savez ce qu’il disait : si je n’étais pas empereur, je voudrais être juge de paix dans un village. Ah ! notre bourgeois n’a pas manqué cela, lui ; il est juge de paix depuis longtemps, et il le sera tant qu’il vivra. Vous savez aussi que les hommes que Bonaparte aimait le mieux, c’étaient les hommes carrés. Eh bien ! tonnerre d’un nom ! notre bourgeois est encore justement comme ça, c’est un homme carré : il est aussi capable des bras que de la tête et il peut faire n’importe quoi — demandez-le à tout le monde. »

Ce témoignage universel qu’invoque Pierre Gagnon est l’hommage suprême de l’admiration des gens de Bristol pour le fondateur de Rivardville ; il termine le roman du colon, et fait une dernière fois apparaître le type des défricheurs dans une lumière qui ressemble à la gloire d’une apothéose populaire.

Tel est le roman de Jean Rivard. Il est le premier, dans l’ordre chronologique, de nos grands romans, les Anciens Canadiens n’ayant paru qu’en 1863, une année après Jean Rivard, le défricheur. L’abbé Casgrain qui eut avec Gérin-Lajoie des relations d’amitié et des relations littéraires très étroites, nous assure que Jean Rivard ne reçut pas du public l’accueil qu’il méritait. On lut sans assez d’enthousiasme ces pages que l’auteur avait voulu faire si pratiques. On en voulait sans doute à Jean Rivard d’être trop peu romanesque, trop occupé des choses de la ferme, trop éloigné des intrigues où aime à s’aventurer l’imagination du lecteur. La mode n’était pas alors, comme elle l’est aujourd’hui, au roman social, et l’on n’était pas encore habitué à chercher dans le roman français l’exposé et la discussion des problèmes les plus difficiles de la vie contemporaine. Sans être précisément un précurseur, Gérin-Lajoie avait compris tout