il entonne à l’occasion de ces chiffres, qui cette fois ne sont pas arides, un hymne enthousiaste, un couplet qu’il chante à la jeunesse de son pays, pour l’attirer loin des villes et loin de l’oisiveté dans la forêt docile et féconde.
Déjà, d’ailleurs, la forêt de Bristol accueille de nouveaux ouvriers, qui ont suivi le sentier tracé par Jean Rivard. D’autres viennent bientôt, qui se partagent le sol du canton. C’est donc la vie et le mouvement, la voix et le travail de l’homme qui animent et transforment la forêt. Le gouvernement lui-même s’en mêle, et décide enfin de tracer un chemin public qui traversera le canton. La fortune sourit aux défricheurs. Jean Rivard se construit une maison convenable, et il rêve d’y introduire enfin celle qui sera la reine de Louiseville.
Aussi bien ses amours ont-elles été tenaces. Malgré certaines déceptions qu’il avait éprouvées l’an dernier, pendant une visite à Grandpré, un soir d’épluchettes où il avait veillé chez les Routier, et bien que ce soir-là Louise lui eût semblé préférer au rude colon de Bristol un beau danseur du village, Jean avait gardé toute sa fidélité aux premières affections, et Louise elle-même, malgré elle accaparée par le jeune élégant, s’était désolée, ce soir des épluchettes, de n’avoir pu témoigner au cavalier des premiers jours sa durable amitié. Le malentendu fut bien vite dissipé dans des lettres qui n’avaient rien d’équivoque, et le dimanche 5 octobre 1845, M. le curé de Grandpré mettait fin à l’inoffensif roman, en publiant au prône de la grand’messe la promesse de mariage entre Jean Rivard, « ci-devant de cette paroisse, maintenant domicilié dans le canton de Bristol, et Louise Routier, fille mineure de François Routier et de Marguerite Fortin, ses père et mère, d’autre part ». Et c’était, comme il arrive le plus souvent, pour la première et dernière publication.
Deux jours après, il y avait noces brillantes chez les Routier. « Quarante calèches, conduites chacune par un cheval fringant, brillamment enharnaché », escortaient