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JEAN RIVARD

Quelques semaines après, il fallut procéder au brûlage des bois coupés, et à la récolte de la cendre que l’on utilisait pour la fabrication de la potasse. Le règne de la pulpe n’était pas encore commencé ; et il fallait bien alors détruire sur place, par le feu, tous les arbres dont on voulait débarrasser le sol.

« C’est la campagne d’Italie qui commence ! » avait dit Jean Rivard à Pierre Gagnon, le matin où il lui montra les quinze arpents d’abatis qu’il fallait nettoyer. Et Pierre Gagnon, et Jean Rivard, et Joseph Lachance, un deuxième domestique que Jean avait engagé pendant sa visite pascale à Grandpré, se mirent immédiatement à l’œuvre du tassage et du brûlage. On fit pendant le jour des feux magnifiques qui illuminaient encore les nuits obscures, et offraient à l’œil des bûcherons les spectacles les plus saisissants. « C’est l’incendie de Moscou ! » disait Pierre Gagnon toujours dévoué à son empereur, et ces saillies de l’imagination le reposaient des dures fatigues de la journée, et faisaient oublier aux brûleurs de la forêt leur visage devenu noir comme celui des Éthiopiens.

« Dès le mois de juin, les quinze arpents de terre défrichés depuis l’arrivée de Jean Rivard à Louiseville se trouvaient complètement ensemencés. » Le blé, l’avoine, l’orge, des légumes et des fleurs poussent maintenant en pleine forêt, dans les champs et dans le jardin de Jean Rivard. Et Jean et ses compagnons voient lever avec un indicible contentement les premières moissons. Ils jouissent déjà du fruit de leur travail ; leur tâche leur paraîtra désormais moins lourde ; il y aura plus de soleil et plus de bonheur dans l’humble cabane du colon.

Au reste, la Providence bénit l’œuvre de Jean Rivard. La première récolte fut abondante. Jean vendit à l’automne pour plus de trente louis de grains et de légumes, et la potasse qu’il avait fabriquée lui rapporta trente à quarante louis. Gérin-Lajoie appuie sur ces détails ; il les précise avec une volupté d’économiste, et