pas toujours à chasser l’ennui qui parfois envahissait la cabane du défricheur. Gérin-Lajoie ne le dissimule pas, parce qu’il veut être romancier vraisemblable, et aussi parce qu’il veut apprendre aux jeunes colons comment il faut traverser les heures sombres de la vie. Donc « la chute des feuilles, le départ des oiseaux, les vents et les pluies de novembre furent la cause des premières heures de mélancolie ». Puis le ciel gris, les vents froids du nord et de l’est soufflant à travers les branches, le linceul de neige qui recouvrait partout le sol et la forêt, accrurent encore la tristesse des jours pénibles : et parfois la solitude paraissait à Jean un exil, et sa cabane, un tombeau. Il se souvenait avec amertume de Grandpré, de la maison paternelle, des dimanches si réconfortants au village, et des petites veillées chez le père Routier. Pierre Gagnon essayait alors d’égayer son maître ; il lui chantait les vieilles chansons canadiennes, ou bien encore, et sans connaître pourtant le pouvoir prestigieux de l’homéopathie, il faisait entendre à son maître ennuyé le répertoire de ses plus dolentes complaintes.
Jean Rivard luttait, d’ailleurs, lui-même contre ces impressions de tristesse. Il les combattait par le travail toujours assidu, et il en triomphait par l’espérance des moissons futures.
Le soleil de mars lui apporta un nouveau motif de se réjouir. La forêt dépouillée ne paraît-elle pas alors s’animer sous la poussée, d’une sève nouvelle ? Et l’érable généreux ne verse-t-il pas par toutes ses blessures le nectar qui est sa vie ? D’avance Jean Rivard et Pierre Gagnon s’étaient fait une fête d’entailler. Ils entaillèrent, ils savourèrent à loisir, à toutes les phases de leur cuisson, la tire et le sucre. De grands hourras poussés à pleins poumons annoncèrent à la forêt la première brassée terminée ; et Jean Rivard éprouva, pour la première fois, la grande satisfaction d’ajouter quelque chose à la richesse de son pays, d’avoir créé une marchandise, de compter parmi les « producteurs nationaux ».