Mais se peut-il qu’il y ait un roman du colon ? Et les colons ont-ils donc leur roman ? Leur idylle est si peu compliquée, et leur âme si saine ! Ils n’ont guère d’amours que pour les grands bois qu’ils fréquentent, pour l’érable et les vieux ormes qui ombragent leurs maisons, pour la terre qui boit leurs sueurs et leur donne du blé. Les colons ont une conscience si franche, et qui se prête si mal à toutes les subtiles suggestions de la passion romanesque ; ils vont d’un pas si solide, avec un cœur si ouvert, à la femme qu’ils ont rêvée, le soir, sur le seuil de leur première cabane, en fumant leur touche à la clarté des étoiles, pendant que la forêt voisine, toute pleine de murmures et de voix mystérieuses, excitait en leur âme solitaire le besoin des affections et comme la nostalgie du foyer.
Comment écrire un roman, quand il en faut tracer le plan et dessiner la trame sur la vie uniforme et simple de nos abatteurs de forêts ? Gérin-Lajoie, qui fut l’un de nos écrivains les plus avisés de la dernière moitié de l’autre siècle, s’est peu soucié de ce problème artistique et psychologique. Il n’a pas longtemps cherché comment il pourrait construire sa fable, ni comment il pourrait nouer l’intrigue, et avec des épisodes surprendre ou émerveiller le lecteur. Aussi bien n’est-il pas lui-même un fouilleur d’âmes, ni un excitateur de sensations. Cet apôtre de la colonisation sait bien mieux la géographie de nos cantons de l’Est que la Carte du Tendre, et ce sont des livres d’économie sociale qu’il feuilletait en 1860, de préférence aux derniers romans de Flaubert ou de George Sand. Aussi, n’a-t-il brodé qu’une toute petite histoire d’amour sur le canevas rude de son livre : juste assez pour satisfaire ceux qui pensent que les romans ne se peuvent vraiment passer de quelque épisode amoureux.
Résoudre une question sociale, ou en chercher la solution, préoccupait Gérin-Lajoie bien plus que le soin d’analyser et de décider un cas de conscience. Et c’est, en vérité, un roman social qu’il a voulu écrire, et non