C’est aussi ce sentiment délicat de la nature, et cette fraîcheur d’impression qu’elle lui donne, qui ont permis à M. de Gaspé de raconter de façon si piquante, si originale et si vraie les scènes de vie sauvage où se trouve un moment engagé le malheureux Arché. Il a surtout prêté aux acteurs de ce petit drame, et en particulier au chef indien, la Grand’Loutre, le langage imagé, concret et pittoresque qui convient. C’est la nature qui parle par ces voix de la forêt, et M. de Gaspé, habitué à l’entendre se révéler et chanter autour de lui, en a facilement rendu l’harmonieuse expression.
Il y a donc dans ce livre, qui n’a pas la prétention d’être une œuvre d’art, un art véritable qui s’ignore souvent, et qui s’affiche aussi parfois. Mais inconscient ou voulu, il intéresse, il séduit, il attache le lecteur. On feuillette et on parcourt avec une grande curiosité le livre des Anciens Canadiens ; et, à se laisser prendre par cet enchantement du vieux conteur, on constate une fois de plus comme il est possible que l’art véritable se moque parfois de l’art lui-même, tout comme l’éloquence vraie, selon le mot de Pascal, se moque de l’éloquence.
Le public de 1863 apprécia comme il devait l’œuvre qu’on lui présentait. Les deux mille exemplaires de la première édition furent rapidement enlevés, et dès 1864, on publiait une nouvelle édition de cinq mille exemplaires. Le livre a eu depuis trois autres éditions, et il est resté le roman le plus sympathique qu’il y ait dans notre littérature.
De Gaspé, qui avait si longtemps vécu dans la retraite et l’obscurité de son manoir, devint tout à coup l’un des plus illustres parmi nos écrivains. Son nom passa sur toutes les lèvres. Les étudiants, qui croyaient apercevoir dans le livre nouveau l’épopée populaire et natio-