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LES ANCIENS CANADIENS

traîné par ses chevaux, les nymphes, les naïades, la coupe du Léthé, et cette mythologie dont on fut si friand dans les collèges du dix-huitième siècle.

Ce sont encore, sans doute, ces mêmes circonstances d’une vie menée en pleine campagne, et en pleine nature, qui nous peuvent expliquer pourquoi l’auteur des Anciens Canadiens a parfois, et d’une façon si gracieuse, mêlé à ses récits et à ses dialogues la poésie des paysages. De Gaspé n’est pas précisément un descriptif ; il n’est pas, à coup sûr, un précurseur de Pierre Loti, ni non plus un imitateur assidu de Chateaubriand. Cependant, certaines pages qu’il a écrites et où il a mêlé son âme aux spectacles de la nature, font penser, quand on les lit, à l’auteur du Génie du Christianisme. Il y a dans telle description de l’incendie de la côte sud, et, par exemple, dans le tableau où l’on voit Arché contemplant, du haut d’un rocher, les ruines du manoir ; il y a dans telles scènes qui se passent sur la grève ou dans les champs de Saint-Jean-Port-Joli, ou encore au bord de la rivière des Trois-Saumons, une grâce à la fois simple et ondoyante qui nous révèle chez l’écrivain une âme toute sensible à la poésie des choses. C’est parfois une toile assez large que peint M. de Gaspé, comme, par exemple, le décor de bois et de caps qui encadre le manoir seigneurial, ou les spectacles de notre grand fleuve quand il étale et fait miroiter sa splendeur aux feux du soleil couchant ; parfois aussi, c’est un simple coup de pinceau, jeté en passant sur le fond mouvant du récit et de l’action, mais qui suffit à le colorer, à l’illuminer et à le transformer. Voyez, par exemple, comme il installe sous les sapins, les cèdres et les épinettes, pour le repas du midi, les habitants de Saint-Jean qui sont venus au village et à l’église passer la journée du vingt-quatre juin ;[1] ou encore, assistez le soir, au pied d’un noyer et sous le rayon de lune qui se joue dans l’onde, à l’entretien si grave de Jules avec M. d’Egmont.[2]

  1. Page 146.
  2. Page 165.