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ROMANCIERS DE CHEZ NOUS

mesure, et quelques périodes, quelques phrases qui déroulent trop longuement leur traîne et s’y embarrassent, ces passages, tout pénétrés d’une émotion intense, ajoutent à la vérité des récits, et remuent très agréablement l’âme du lecteur.

Chose étrange, d’ailleurs, cet auteur qui se moque si joliment des critiques, et qui entend bien n’écrire que pour exposer sans recherche une pensée sincère, ne dédaigne pas de montrer souvent qu’il a l’expérience des choses de l’art littéraire, qu’il a lu beaucoup et beaucoup appris, et qu’il trouve plaisir à faire l’étalage de ses souvenirs classiques. Non pas, certes, qu’il y ait chez lui du pédantisme — à moins qu’on ne puisse reprocher à l’auteur le défaut de l’un de ses personnages — mais il y a parfois, dans ce livre, une sorte de coquetterie qui sait être suffisamment discrète, qui surprend chez un écrivain aux allures si populaires, et qui apparaît ça et là, à travers les pages du roman, comme le sourire de l’aristocrate.

Aussi bien, comment M. de Gaspé aurait-il pu ne pas déverser en son livre le trop-plein de ses souvenirs littéraires ? La vie tranquille, isolée, quelque peu solitaire du manoir, après la catastrophe qui brisa sa carrière, lui fit des loisirs qu’il occupait à revoir ses auteurs, et à relire les livres de sa bibliothèque. Souvent le soir, au salon, quand la conversation menaçait de languir, il ouvrait Racine ou Molière, ou Shakespeare, ou reprenait un roman de Walter Scott, et il faisait lui-même la lecture à sa famille rassemblée. Parfois l’on montait des pièces, et l’on jouait Berquin ou les contes de Mille et une Nuits, que venaient applaudir voisins, amis et censitaires.[1] Il n’est donc pas étonnant que les réminiscences de l’étudiant se retrouvent si souvent sous la plume du vieillard, et qu’apparaissent dans les descriptions ou les discours de son livre la fable d’Hippolyte

  1. Voir, à ce sujet, la Biographie de M. de Gaspé, par l’abbé Casgrain.