souffrent et qui ont besoin de son secours. Il est lui-même la vivante et persuasive contradiction de sa doctrine. Il n’a pu éteindre en son âme les affections généreuses de sa jeunesse, et il se console de ses tristesses en faisant beaucoup de bien à ceux qui souffrent. Il va porter aux malades et aux pauvres les fruits de son jardin, et les racines bienfaisantes et les simples dont ses études lui ont révélé la vertu médicinale. Bref ! on appelle ce misanthrope le bon gentilhomme, et M. de Gaspé ne pouvait en un plus violent contraste de mots et de faits résumer sa philosophie de la vie, et définir sa complexe mentalité.
Il faut retenir que c’est un nom très doux, un vocable très généreux qui sert à marquer et à distinguer entre tous les hommes M. d’Egmont. Il est le bon gentilhomme. C’est la bonté qui excelle dans sa vie, et c’est elle aussi sans doute qui console l’existence de M. de Gaspé. Nature faite tout entière de vertus ardentes et de passions capables de devenir excessives, l’auteur des Anciens Canadiens devait traduire sa vie par des oppositions vives et des rencontres originales ; il devait la pénétrer des grâces et du charme séduisant de la bonté. Léger, joyeux, confiant dans sa jeunesse, triste bientôt de tous les mécomptes de ses trente ans, retiré dans son manoir après les années de captivité, estimant que sa vie était désormais sans profit pour lui et pour les autres,[1] mais résigné pourtant, et calme, et essayant de retrouver dans la paix du foyer la joie ancienne et bonne ; refoulant sans cesse au fond de sa mémoire le souvenir des jours mauvais, et gardant volontiers à ses lèvres de doux vieillard le sourire des affections paternelles ; facilement triste et chagrin quand surgit tout à coup à ses yeux le passé ineffaçable, capable aussi de trouver dans les lectures en famille et dans les méditations de son esprit toujours alerte, la consolation et l’oubli : tel fut M. de Gaspé. Ce sont, en vérité, toutes ces alternatives de joie et de re-
- ↑ Cf. page 180.