nie des mots et de la fortune, tout à la fois nous unir à nos voisins et nous opposer à eux : nous unir avec eux pour faire ensemble prospérer et grandir la patrie commune, mais nous opposer les uns aux autres, dans une attitude calme et respectueuse, pour garder vivantes et libres, avec toute la richesse de leur sang et la variété belle et légitime de leurs langues, les deux races qui possèdent le sol canadien.
C’est cette alliance, et c’est cette pacifique opposition des races que M. de Gaspé a paru d’abord comprendre et prêcher. Il ne semble pas, cependant, qu’il ait toujours eu sur ce sujet une pensée suffisamment nette et invariable. L’on peut croire que l’anglomanie, qui, au siècle dernier, a commencé à sévir dans quelques-unes de nos familles bourgeoises, a quelque peu fait fléchir son patriotisme. Sans jamais conseiller ouvertement la fusion, dans ce pays, des deux races anglaise et française, il accepte volontiers que des mariages mixtes fassent se rencontrer et se mêler les deux sangs. Blanche a bien un mot très fier quand Jules lui propose d’épouser Arché, qui représente à ses yeux la race des conquérants : « Est-ce une d’Haberville qui sera la première à donner l’exemple d’un double joug aux nobles filles du Canada ? »[1] Mais elle consent à ce que Jules prenne lui-même pour femme une Anglaise, et elle va jusqu’à dire ceci qui est le mot malheureux : « Il est naturel, il est même à souhaiter que les races française et anglo-saxonne, ayant maintenant une même patrie, vivant sous les mêmes lois, après des haines, après des luttes séculaires, se rapprochent par des alliances intimes ; mais il serait indigne de moi d’en donner l’exemple après tant de désastres. »[2]
M. de Gaspé a mieux aimé que ce fût Jules qui donnât l’exemple de ces alliances hybrides où trop de nos familles canadiennes-françaises ont depuis et peu à peu