lancoliques. Cette physionomie est même plutôt chagrine : les lèvres qui sont épaisses, couvertes d’une forte moustache, et qui se ferment lourdement sous un nez trop gros, ne paraissent pas s’ouvrir facilement pour les rires fins et légers ; la gaieté soudaine, gauloise et burlesque des conteurs populaires devait être plutôt la sienne. Il y a, d’ailleurs, quelque chose d’un peu nonchalant, de trop abondant et d’excessif dans ces traits inférieurs du visage, qui sont si fortement marqués, où le menton frais rasé et large s’en va fuyant sous la barbe blanche qui enveloppe la gorge et recouvre les joues. En revanche, le front haut, bien dégagé, repose très noblement sur l’arcature saillante des sourcils, et semble bien fait pour les silencieuses méditations. Le regard lui-même ne porte pas tout entier sur les choses extérieures ; abrité sous le pli large et retombant des paupières, à la fois ferme et bon, il semble se tourner vers le monde intérieur des pensées et des souvenirs. Les paupières inférieures, que l’on dirait avoir été gonflées par les larmes, et qui s’affaissent mollement jusqu’au ride profond qui les découpe en demi-cercle et les relève, ajoute encore à la mélancolie de cet œil un peu mystérieux et voilé.
C’est avec cette physionomie complexe que M. de Gaspé apparaît dans son livre. Tour à tour joyeux et triste, naïf et philosophe, passionné et bon enfant, aristocrate et homme du peuple, il exprime avec une grande variété d’attitudes les sentiments qui emplissent son âme canadienne. Mais, puisque c’est une page d’histoire qu’il a surtout voulu écrire, il n’est pas étonnant que ce soit son patriotisme très sensible, souvent meurtri, confiant ou irrité, qui s’y traduise le plus volontiers et le plus souvent.
M. de Gaspé intervient donc dans les récits et l’action du roman pour nous dire, sur la vie politique de son pays, sa pensée personnelle, pour apprécier les faits, et soulager sa conscience qu’il avait tenue si longtemps fermée. Non pas qu’il ait sur les événements qu’il ra-