De Gaspé insistera plutôt sur la description et sur la peinture des gens du peuple, des censitaires et des domestiques, puisque, après tout, ce sont eux qui représentent le plus exactement les mœurs des anciens Canadiens. Et telles scènes de son livre rappellent ces tableaux flamands, où s’étalent la bonne humeur, la vie robuste, bruyante et grasse des bonnes gens. Ces scènes, quoique situées à l’arrière-plan du roman, y sont construites avec tant de relief qu’elles attirent le regard, et l’y retiennent longtemps fixé. Le seul costume de ces personnages familiers suffit à intéresser l’œil, et à donner au tableau quelques-unes de ses véritables couleurs : capot d’étoffe noire tissée au pays, bonnet de laine grise, mitasses et jarretières de la même teinte, ceinture aux couleurs variées et gros souliers de peau de bœuf du pays, plissés à l’iroquoise : c’est la tenue habituelle des traversiers de Lévis, et c’est aussi, pendant l’hiver, celle des anciens Canadiens. Il n’y faut ajouter que le bougon de pipe inévitable, que mâchonne et déguste délicieusement le fumeur de nos campagnes.
Parmi ces personnages rustiques qui passent et repassent au fond de la scène en des attitudes si pittoresques, M. de Gaspé s’est plu surtout à mettre en bonne lumière celui du père José.
Nous ne pouvons dire, cependant, que José est exactement le type de l’habitant canadien. Sa naïve simplicité ne va-t-elle pas parfois au delà de l’ordinaire mesure qui convient à nos gens ? Et encore, qu’il ne faille pas juger les habitants d’autrefois par ceux-là, très bourgeois, qui peuplent aujourd’hui nos vieilles paroisses, il semble bien que José, qui représente pourtant un type vécu et vu, exagère un peu en ses formes et en ses manières l’habituelle bonhomie des anciens Canadiens. Il a gardé quelque chose de cet extravagant de François Dubé dont il est le fils, qui jurait avoir vu de ses yeux danser les sorciers, et qui avait senti la Corriveau lui grimper sur les épaules.