de ce coup terrible que porta dans tous les cœurs canadiens notre suprême défaite. Son manoir incendié, son foyer ruiné et sa patrie conquise, tant de malheurs abattus sur lui aigrirent son caractère, le firent triste et chagrin ; et il ne faudra rien moins que l’autorité impérieuse d’une destinée irrévocable pour ployer cet homme, et lui faire accepter sa vie nouvelle.
Assez semblable à son frère, M. d’Haberville est l’oncle Raoul : l’oncle traditionnel, vieux garçon, utile, mais un peu sec et capricieux, comme le sont les oncles célibataires qui vivent chez les autres, qui exagèrent parfois leur importance pour ne pas ressembler trop à des êtres parasites, qui dorlottent les petits neveux, et que l’on aime pourtant pour ce qu’ils conservent toujours en eux de jeunesse, de bravoure et de cette tendresse qu’ils ont si parcimonieusement dépensée. L’oncle Raoul a l’allure militaire, impérative ; il est vif, et excessif en ses paroles et en ses jugements ; il jure avec fermeté, et quand il dialogue, il coupe l’air en tous sens avec sa canne, au risque d’attraper tous ses voisins. Au demeurant, il est bon garçon, et on l’écoute et on le respecte pour ses conseils souvent distribués, sa franchise correcte et son attachement au foyer.
Dans ce livre des Anciens Canadiens, où l’homme tient la première place et les principaux rôles, la femme n’apparaît que tout à fait à l’arrière-plan, dans la lumière discrète de sa maison, occupée aux soins du ménage, ou présidant les réunions de famille.
Les images très douces de madame d’Haberville et de Blanche n’occupent pas plus de place dans cette épopée que celles des femmes troyennes dans le roman historique d’Homère. C’est la vie intérieure que symbolisent les héroïnes de M. de Gaspé, avec ses affections domestiques, ses longues conversations au foyer, et cette surveillance diligente et aimable qui assure à la femme canadienne son prestige et sa suave autorité.