Page:Roy - Romanciers de chez nous, 1935.djvu/32

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
37
LES ANCIENS CANADIENS

L’auteur ne paraît pas avoir cure de psychologie ; ou plutôt, il est psychologue d’une façon qui convient à ses goûts et à son tempérament, et en ce sens qu’il tâche de dessiner seulement les mouvements généraux de la passion. La passion, ainsi racontée et mise en œuvre, ne fournit, nécessairement, que des portraits qui sont courts ; les divers traits, peu nombreux, qui les composent, laissent à l’imagination du lecteur le soin et le loisir de compléter le dessin de l’artiste.

Ce même procédé, qui consiste à laisser les personnages se dresser eux-mêmes en pieds sous le regard du lecteur, fait que souvent il arrive qu’il faille rechercher ici et là, à travers toutes les pages du livre, les éléments qui peuvent servir à leur reconstitution. C’est ainsi qu’il sera nécessaire de recueillir un peu partout, dans ce roman, et au hasard des circonstances, la pensée, les paroles, les gestes de M. d’Haberville, le père de Jules, si l’on veut prendre de lui une image précise. Héritier de longues traditions familiales, type parfait du seigneur canadien, esprit autoritaire et franc, conscience vigoureuse où se mêlent les vertus les plus bourgeoises, les vanités les plus chevaleresques, les instincts militaires les plus violents, et les découragements les plus profonds, M. d’Haberville est surtout soldat. Il en a toute l’ardeur et toute la crâne générosité. À son fils qui lui demande d’accueillir au manoir l’orphelin dont il s’est fait un ami, il répond : « Son père repose sur un champ de bataille glorieusement disputé : honneur à la tombe du vaillant soldat. Tous les guerriers sont frères, leurs enfants doivent l’être aussi »[1]. Mais c’est parce qu’il est soldat, qu’il éprouvera si longtemps en son âme blessée l’effet

  1. Cf. page 27.