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ROMANCIERS DE CHEZ NOUS

« Vous m’offensez, capitaine Archibald Cameron de Locheill ! Vous n’avez donc pas réfléchi à ce qu’il y a de blessant, de cruel dans l’offre que vous me faites ! Est-ce lorsque la torche incendiaire, que vous et les vôtres avez promenée sur ma malheureuse patrie, est à peine éteinte, que vous me faites une telle proposition ? » Et elle ajouta, avec une pointe de préciosité qui est bien un peu du marivaudage : « Ce serait une ironie bien cruelle que d’allumer le flambeau de l’hyménée aux cendres fumantes de ma malheureuse patrie ! »

Où l’on voit donc que chez Blanche, comme chez tous ces anciens Canadiens que nous a dépeints M. de Gaspé, l’amour du sol natal, le sentiment patriotique priment tous les autres sentiments et tous les autres amours. Ces gens-là s’inquiètent, avant tout, d’accorder et d’ajuster toute la vie avec l’orgueil national et ses exigences parfois douloureuses.

Devant une opposition si vive, et peut-être depuis longtemps prévue et calculée, Arché ne put guère insister que juste comme il fallait pour montrer la vérité profonde de son dessein. Comme une autre Chimène, Blanche s’obstina dans son refus ; les sanglots parfois étouffaient sa voix, mais elle fut plus forte que sa passion. Jamais, sans doute, elle n’aura d’autre amour que celui d’Arché, mais jamais non plus, victime pieuse et volontaire de son patriotisme, elle ne donnera sa main au lieutenant de Montgomery. Et quand, à la tombée du jour, les deux jeunes gens revinrent au manoir, ils ne remarquèrent pas que l’approche de la nuit donnait à la mer, au rivage et à toute la nature une grâce nouvelle et tranquille, et un charme plus doux : leurs âmes, en proie à de trop violentes émotions, étaient insensibles maintenant à la beauté et à la poésie des longs soirs d’été.

Malgré que cet épisode, cette idylle soit si propre à émouvoir le lecteur, elle ne constitue pas une étude attentive des jeux et des combats de la passion humaine.