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ROMANCIERS DE CHEZ NOUS

rencontres, et concevoir des luttes aussi vives où s’engagent et se torturent les consciences, il n’a guère, vraiment, qu’à raconter les événements pour en faire goûter toute l’amertume, et pour en faire voir et apprécier la grandeur.

Il est un sentiment, plus intime, plus subtil et plus profond que celui du patriotisme et de la générosité héroïque, plus difficile à comprendre, à analyser et à reconstituer, surtout quand il s’efforce d’être discret et qu’il s’évertue à s’ignorer soi-même, c’est le sentiment ou la passion de l’amour. De ce sentiment il était inévitable que l’âme d’Arché, le héros sympathique du roman, se remplît et débordât quelque jour.

De Gaspé n’a pas insisté sur cet épisode, l’un des plus délicats et des plus touchants qu’il y ait dans son livre, parce qu’il ne voulait pas, au moyen de faciles intrigues et de trop sensibles émotions, détourner l’attention du sujet principal, et l’on peut dire unique, de son roman ; il n’a touché que bien légèrement une corde sur laquelle tant de romanciers exécutent leurs troublantes variations, parce qu’il ne voulait pas, par des cris de la passion aiguillonnée et désespérée, briser l’harmonie de son chant tout patriotique.

Cependant, avec quelle grâce légère et quelle irréprochable candeur, avec quel vif émoi il a raconté l’idylle dont fut témoin, un soir d’été, « la grève aux anses sablonneuses qui s’étend du manoir jusqu’à la petite rivière Port-Joli »[1]. Arché s’était enfin réconcilié avec M. d’Haberville ; il se disposait à vivre auprès de ses amis, et il rêvait d’unir sa destinée à celle de Blanche, à la petite soeur dont il savait l’âme si douce et si bonne. Il

  1. Cf. pages 297 et suivantes.